Gershwin in Rhythm : l’interview de Gergely Madaras

Madaras

Le Directeur musical de l’OPRL dit tout sur Gerswhin, l’enfant prodige de la musique américaine, au programme de son concert de Nouvel An, le 8 janvier, à 20h, en livestream.
 

Même si elle aura été fortement bouleversée par la crise du coronavirus, votre 2e saison a mis à l’honneur la musique américaine. Pourquoi ce fil rouge ? 

Une saison d’orchestre permet généralement de mettre en valeurs plusieurs continents, une multitude de styles, diverses périodes de l’histoire de la musique. Lorsque vous êtes Directeur musical d’un orchestre, vous avez la possibilité d’approfondir un répertoire, grâce à une multitude de concerts qui favorisent aussi bien une exploration diversifiée qu’un travail stylistique en profondeur. Le thème des Amériques peut sembler vaste a priori ; pourtant, les musiques américaines sont toutes interconnectées, elles sont le reflet des multiples migrations qui touchent l’ensemble du continent américain, composé d’Indiens, d’Afro-descendants, de Latinos, d’Européens qui forment un véritable « melting pot » culturel. La véritable Amérique est caractérisée par ce mélange de cultures, ce qui n’empêche pas chaque communauté artistique de veiller à sa spécificité identitaire. Pour présenter la diversité musicale des Amériques, un chef d’orchestre doit l’aborder sous différents angles afin de permettre tant au public qu’aux musiciens d’en mesurer les richesses. 

 

Qu’est-ce qui caractérise la modernité de Gershwin ? 

Gershwin s’inscrit dans la lignée de compositeurs comme Haydn et Bartók dont l’art associait la culture populaire à la musique savante, par la transformation du matériau « ethnique » en quelque chose de personnel et d’immédiatement identifiable. C’était constitutif de leur modernité ! À son tour, Gershwin conserve le caractère spécifique du jazz (le glissando de la clarinette dans Rhapsody in Blue), ses couleurs (l’emploi du xylophone dans Girl Crazy ou des saxophones dans Un Américain à Paris) tout en l’adaptant à son propre langage. Lorsque je dirige cette musique, il faut toujours un peu de temps pour parvenir à rendre correctement le style, les accents, les syncopes, le caractère jazzy. Le fait de jouer plusieurs fois sur l’année ce répertoire nous aide à trouver le « groove » approprié. 

 

Gershwin est allé étudier la composition à Paris auprès de Nadia Boulanger. Était-ce vraiment nécessaire pour un artiste de sa trempe ? 

Bartók (encore lui !) considérait que la composition est un art qui ne s’apprend pas dans un conservatoire. Et je partage cet avis. Il est significatif de constater d’ailleurs que la composition comme la direction d’orchestre sont des disciplines qui ont commencé à être enseignées seulement au XXe siècle. Auparavant, elles se transmettaient de manière assez naturelle.  

Les cours de composition permettent bien sûr d’acquérir des notions techniques, de comprendre comment utiliser les instruments, d’envisager l’architecture d’une œuvre… Mais le style ne s’apprend pas ! La composition est quelque chose que l’on a en soi ou que l’on n’a pas ! Les meilleurs mentors, et Nadia Boulanger était de ceux-là, sont ceux qui transmettent les bases mais qui laissent les talents s’épanouir sans jamais les forcer. Avec elle, Gershwin a pu apprendre certaines ficelles du métier. Mais ce n’est rien à côté des découvertes qu’il fit dans les rues de Paris où il put se confronter à d’autres traditions et absorber de nouvelles formes de culture. 

 

Comment considérer Porgy and Bess à l’heure des Black Lives Matter ? 

Récemment, une production de Porgy and Bess, un opéra de Gershwin sur la vie des Afro-américains, a fait scandale à Budapest. Le compositeur a toujours insisté pour que l’ouvrage soit interprété exclusivement par des chanteuses et des chanteurs noirs. Or le casting de Budapest était mixte ; les organisateurs ont dû préciser qu’il ne s’agissait pas de la version originale. À titre personnel, je trouve cela dommage car de telles contraintes signifient une diffusion limitée de l’œuvre. On sait très bien qu’en Europe, il est plus difficile d’élaborer une distribution uniquement avec des chanteurs noirs, à moins bien sûr de faire venir toute une troupe des États-Unis. 

 

En revanche, si Porgy est interprété dans un pays où la population noire est importante, cela devient un must de respecter la volonté de Gershwin. D’abord, cela montre combien les artistes noirs sont ultra-talentueux, tant comme chanteurs que comme danseurs. Ensuite, ils nous confrontent à une couleur vocale unique, plus conforme et plus authentique au regard des racines de cette musique. Un pays comme la Belgique, qui possède une importante communauté africaine devrait systématiquement solliciter ses artistes noirs pour présenter cette musique y compris pour les parties instrumentales d’ailleurs. La question des chanteurs ne se pose pas dans le cadre de notre concert de Nouvel An puisque nous proposerons une suite orchestrale. Elle a cependant le mérite de nous rappeler qu’il nous faut être plus inclusifs et accepter la présence d’autres groupes ethniques et d’autres cultures au sein de nos disciplines.

 

La pianiste coréenne Yeol Eum Son sera la soliste du concert. Pourquoi ce choix ? 
J’ai toujours entendu beaucoup d’éloges à son égard : cela fait longtemps que je souhaitais jouer avec elle et la présenter au public de Liège. C’est une artiste fabuleuse en raison de sa virtuosité et de son jeu très brillant. Ce sera une interprète idéale pour notre concert de Nouvel An ! 

 

Aimeriez-vous vivre aux États-Unis aujourd’hui ? 

Je suis profondément attaché à ce pays, à la variété de son peuple, de sa culture, de son patrimoine. J’y ai passé beaucoup de temps durant mes études – l’équivalent d’une année entière de ma vie –, j’ai même participé à plusieurs festivals comme ceux de Tanglewood ou d’Aspen. J’ai beaucoup d’amis là-bas et j’adore leur mode de vie très différent du nôtre. J’apprécie des villes comme New York, Boston et San Francisco. Lorsque je suis sur place, je me sens comme à la maison. Je ne compte pas y vivre pour le moment mais je n’exclus pas un jour d’y retourner pour une longue période.

 

Quels sont les orchestres que vous aimeriez y diriger ? 

Je voudrais pouvoir diriger un jour les orchestres de New York, Boston, Cleveland, Chicago, Philadelphie et Los Angeles, qui comptent parmi les plus brillants de tous les États-Unis. Et les chefs hongrois n’y sont sans doute pas pour rien. Beaucoup d’artistes hongrois ont migré aux États-Unis au XXe siècle à commencer par des personnalités comme Ferenc Fricsay, Eugene Ormandy, Fritz Reiner, Georg Solti ou George Szell. Ils ont bâti le paysage sonore des grands orchestres américains autour de 1950. Ainsi, presque toutes les grandes phalanges américaines ont gardé le souvenir de mes illustres prédécesseurs.  

 

Propos recueillis par Stéphane Dado 

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