Interview - Alison Balsom : « Que l’on soit un homme ou une femme ne change rien, au fond. »
Star de la trompette au Royaume-Uni, Alison Balsom a enregistré 13 albums chez Warner Classics. Le vendredi 10 juin, à 20 heures, elle est l'invitée de l'OPRL dans le Concerto de Hummel.
Comment est née votre passion pour la trompette ?
Enfant, j’ai eu la chance de pouvoir pratiquer de nombreux instruments au sein de brass bands, formations très populaires en Grande-Bretagne. Mais c’est à sept ans que j’ai eu le coup de foudre pour la trompette. J’ai vraiment réalisé que cet instrument était fait pour moi. J’avais aussi entendu un disque de Dizzy Gillespie qui m’avait complètement fascinée.
Vous avez étudié à Londres, Glasgow, Paris et Malmö. Y a-t-il différentes écoles de trompette ?
Oui, clairement. À Londres, j’ai étudié avec John Miller, Paul Beniston et Stephen Keavey (trompette naturelle, sans pistons). On y travaille beaucoup l’homogénéité du son, dans la grande tradition orchestrale des brass bands. On recherche avant tout un son riche et chaleureux. À Paris, l’enseignement est beaucoup plus orienté vers la carrière de soliste, avec un répertoire plus étendu de concertos. J’y ai travaillé avec Antoine Curé, membre de l’Ensemble intercontemporain. C’est à cette époque que je suis passée de la trompette en si bémol à la trompette en ut, plus légère, brillante et précise dans les aigus et les attaques. À Glasgow, j’ai beaucoup appris au contact de John Wallace, une personnalité excentrique, brillante et originale, qui racontait des histoires amusantes pour nourrir nos interprétations. En Suède, Håkan Hardenberger m’a aidée à développer ma propre personnalité, à rendre une interprétation passionnante, à construire un programme de récital.
Les femmes trompettistes sont peu nombreuses. Comment s’est passé votre apprentissage dans ce milieu essentiellement masculin ?
J’ai toujours été bien accueillie. En réalité, je pense que toutes les carrières de solistes sont exigeantes, quel que soit l’instrument. Je crois plutôt au travail, à la persévérance, à la méritocratie, au charisme… De ce point de vue, que l’on soit un homme ou une femme ne change rien, au fond.
Vous avez décidé de faire de la trompette votre métier à l’âge de neuf ans, en entendant Håkan Hardenberger dans le Concerto de Hummel. Vous avez probablement joué ce concerto des dizaines de fois. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur cette œuvre ?
Ah, j’adore cette pièce… qui est presque du Mozart dans le mouvement lent. On y trouve à la fois la forme et le style classiques de Haydn et les premières inflexions romantiques. Je ne m’en lasse pas car, à chaque fois que je la joue avec un bon orchestre (comme celui de Liège !), une alchimie unique naît de la rencontre de mon interprétation avec celle du chef et de l’orchestre. Le Rondo final est similaire à celui de Haydn, mais plus virtuose et démonstratif.
Sur quelle trompette interprétez-vous le Concerto de Hummel ?
Sur une trompette moderne à pistons. Historiquement, ce Concerto a été écrit pour une trompette à clés (avec des trous bouchés par des mécanismes). L’inconvénient de ce type d’instrument réside dans les inégalités de timbre et la perte de puissance. Pour une interprétation avec un orchestre moderne, c’est la trompette à pistons qui s’impose pour sa justesse, sa puissance et sa fiabilité.
À la vision de vos nombreuses vidéos sur Youtube, on est frappé par l’extraordinaire aisance avec laquelle vous abordez tous les répertoires (aussi bien la musique ancienne sur trompette naturelle que les répertoires classique, romantique, moderne et contemporain, sans oublier le jazz et le tango…). Comment avez-vous réussi à pratiquer un répertoire aussi large ?
Eh bien, ce ne fut pas un choix conscient. Je joue avant tout la musique que j’aime, celle qui mérite d’être jouée sur une trompette, quel qu’en soit le style. Je me suis toujours laissé guider par les œuvres qui me parlent, de Purcell jusqu’à nos jours.
Quels seraient les concertos que vous voudriez faire découvrir à un large public ?
Pour moi, l’époque classique est dominée par le Concerto de Haydn ; c’est vraiment une œuvre maîtresse, tellement formidable. À l’époque romantique, on trouve de magnifiques parties de trompette chez Bruckner et Mahler mais pas de concertos à proprement parler. C’est une période faible pour la trompette dont la facture n’était pas encore totalement aboutie. Au XXe siècle, je citerais le très brillant Concerto d’Henri Tomasi, de 1948, et le Concerto « Nobody knows de trouble I see » (1955) de Bernd Alois Zimmermann qui réunit pêle-mêle différents styles, dont le jazz. Enfin, pour notre époque, j’ai une affection particulière pour le Concerto que m’a dédié la compositrice écossaise Thea Musgrave, créé en 2019 à Cheltenham, puis repris à Birmingham, Hambourg et Los Angeles.