« Le carillon, c’est un peu la radio de l’époque ! » : l’interview de Pieterjan Van Kerckhoven (Wör)
Le vendredi 2 juin, à 20 heures, l'ensemble Wör revisite le répertoire des carillonneurs flamands du XVIIIe siècle. Explications avec le leader du groupe !
D’où l’ensemble Wör tire-t-il son nom ?
C’est un mot flamand que l’on utilise à la fin d’une phrase, pour dire « oui, bien sûr ! », « logiquement !», « naturellement !». Cela vient du mot « waar » (« vrai »). « Wör » est une forme dialectale originaire de Belsele (une commune de Saint-Nicolas) d’où provient Bert, l’accordéoniste du groupe. Pour nous, c’est une manière sympathique de rappeler l’existence de différents dialectes en Flandre. Un tréma a été ajouté sur le « o » pour faire entendre le son « eu », très bref, mais surtout pour suggérer un mot scandinave, en référence à l’époque où nous interprétions des répertoires du Nord de l’Europe dans les bars et les clubs de Flandre.
Quel répertoire interpréterez-vous à la Salle Philharmonique de Liège ?
Nous explorerons le répertoire des carillonneurs du XVIIIe siècle. Il existe un fonds important de musiques, souvent d’essence populaire, mais parfois inspirées par la musique classique ; la frontière n’est jamais très claire car les sources ne présentent pas nécessairement des compositions distinctes. On peut aussi bien retrouver des chansons traditionnelles que du Vivaldi, du Corelli, du Couperin. Le carillon, c’est un peu la radio de l’époque. Le carillonneur joue pour faire plaisir aux gens, s’adapte à leurs goûts. Il peut interpréter aussi bien une musique religieuse pour les béguines d’une ville qu’une œuvre plus raffinée à l’intention du bourgmetre, sans oublier quelques « tubes » connus de tous pour satisfaire la collectivité (Ah ! vous dirais-je, Maman…, par exemple).
À partir de quelles sources avez-vous élaboré votre programme ?
Nous sommes partis de manuscrits d’airs et de cahiers de danses populaires compilés par des carillonneurs du XVIIIe siècle, et plus rarement par des violonistes et des maîtres à danser de l’époque. Ces airs proviennent de villes comme Viane (près de Grammont), Anvers, Diest, Gand, Bruxelles, Louvain et même Maastricht. Ils étaient joués à diverses occasions : cérémonies officielles, fêtes religieuses, circonstances plus informelles.
La source la plus ancienne de notre programme est un manuscrit anversois daté de 1728, le « Beyaert » (littéralement « carillon ») qui contient surtout des chants de Noël. Nous avons aussi consulté les manuscrits de Petrus Josephus Van Belle (1743), du carillonneur anversois Ioannes de Gruijtters (1746), la collection Di Martinelli (1750), les notes du maître à danser Jean-Baptiste-Robert d’Aubat de Saint-Flour (1757). Il y a enfin quelques sources plus tardives : les trois cahiers du maître à danser bruxellois Pierre Trappeniers (1775), le manuscrit du carillonneur louvaniste Franciscus De Prins (1781) et celui d’un certain JP Vanpelt (1786), rédigé à Maastricht et conservé depuis à Tongres.
En préparation de notre troisième disque, nous nous intéressons depuis peu aux musiques de carillons de Wallonie. Nous avons découvert un manuscrit namurois dont nous jouerons un extrait en première belge lors de notre concert à la Salle Philharmonique de Liège.
Vous interprétez ce répertoire sur des instruments d’aujourd’hui. Comment ont été réalisés ces arrangements ?
Nous procédons toujours de la même manière : l’un de nous choisit une mélodie et la propose au reste du groupe. Nous en conservons les intervalles et les rythmes mais ensuite, nous oublions ce qui est « historiquement correct ». Le but est de donner à la mélodie une nouvelle vie et de l’adapter à notre époque. Nous modifions pour cela le tempo, l’harmonie, les couleurs, l’instrumentarium et explorons différents styles étant donné que nous avons en commun un bagage de musique traditionnelle, de musique classique, de musique ancienne ou de jazz. Chaque mélodie est un véritable « work in progress » car nous faisons toujours évoluer l’arrangement de base vers quelque chose de spécifique : il est important que chaque morceau soit distinct du suivant. Les possibilités sont heureusement multiples tant le matériau mélodique est riche à la base.
Quels instruments sont à l’honneur ?
Nous utilisons l’accordéon et le saxophone baryton pour les parties graves. Les aigus sont confiés à la cornemuse, au saxophone soprano et au violon. Quant à la guitare, elle donne les rythmes, et, combinée à l’accordéon et au saxophone baryton, tout le « groove » et l’énergie de nos morceaux. Quand nous adaptons une mélodie, nous travaillons beaucoup sur les contrastes de couleurs et la variété des combinaisons instrumentales. Par exemple, nous aimons mêler les sonorités puissantes de la cornemuse à la couleur plus ronde du saxophone soprano. Le saxophone baryton avec son timbre lourd et grave apporte une autre couleur. Le niveau de chaque instrument étant variable, nous réglons les problèmes de balance grâce à une amplification – légère mais soignée – qui permet de conserver la couleur naturelle des instruments sans distorsion de son.
Ce répertoire flamand a-t-il été entendu ailleurs au cours du XVIIIe siècle ?
Certaines des mélodies que nous interprétons ont été retrouvées en France, en Estonie, en Grande-Bretagne, en Scandinavie. Cela montre leur popularité à cette époque ! Le fait que nous soyons au centre de l’Europe explique aussi qu’il y a un échange abondant de mélodies entre musiciens belges et étrangers. Au concert, nous présentons d’ailleurs chaque morceau pour bien contextualiser son histoire.
Le répertoire de Wör est-il encore connu du public flamand contemporain ?
Seule une minorité de personnes connaît ces mélodies en Flandre, notamment les pionniers de la scène traditionnelle qui, dans les années 1950 et 1960, s’inspiraient déjà des manuscrits anciens que nous utilisons pour leurs concerts. Nous cherchons cependant des mélodies rares car nous aimons faire entendre les petits bijoux méconnus du XVIIIe siècle. Le seul air connu que nous interprétons est Ah ! vous dirais-je, Maman... Le reste est toujours une découverte pour le public.
Comment se sont rencontrés les cinq membres du groupe ?
Nous venons de différentes régions de Flandre. Moi je suis de Beveren-Waas, l’accordéoniste (Bert) est de Belsele, le guitariste (Jonas) est de Ninove, le saxophone baryton (Fabio) de Asse et le violoniste (Jeroen) de Oosterzele. À Belsele, il y a un club de musique appelé « ’t Ey » (« L’œuf ») qui organise des concerts de musiques traditionnelles, de folk et de musiques du monde. Nous y écoutions à 15 ou 16 ans des concerts en dégustant de bonnes bières... C’est là que j’ai rencontré notre accordéoniste, Bert. Il a ensuite suivi des études de folk à Gand, ville qui possède une multitude de scènes de musiques traditionnelles et qui est le centre de la musique folk en Flandre. Tous les jeunes musiciens folk viennent encore aujourd’hui à Gand pour s’y former. C’est là que nous avons rencontré l’actuel saxophoniste de Wör, Fabio. Pendant quelques temps, nous avons participé à de petits événements locaux, mais ce n’est qu’en 2014 que nous avons décidé de constituer un véritable ensemble capable d’adapter la musique ancienne aux standards des répertoires traditionnels et folk.
Combien de concerts donnez-vous par an ?
Nous donnons une quarantaine de concerts, y compris à l’étranger. Depuis la création de Wör, nous avons joué en Australie, au Canada, aux États-Unis, en Estonie, en Lettonie, en France, en Allemagne, aux Pays-Bas, en République tchèque, à Vienne. Nous rentrons d’une tournée en Grande-Bretagne. En Belgique, nous jouons surtout dans les centres culturels de Flandre, et parfois à Bruxelles et en Wallonie. On a aussi créé des concerts scolaires via le réseau des Jeunesses musicales. Nous sommes ravis de pouvoir jouer prochainement à Liège !
Propos recueillis par Stéphane Dado
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