« Maman, je parle aux oiseaux ! » : l'interview de Jean Boucault et Johnny Rasse
Ils sont ingénieur et docteur en pharmacie, et gagnent pourtant leur vie comme… « chanteurs d’oiseaux ». Ils nous racontent leur parcours avant leur Samedi en famille avec l'OPRL, le 21 mars.
Comment est née votre vocation de chanteurs d’oiseaux ?
Jean. Nous sommes tous les deux originaires d’un village de la baie de Somme, en Picardie. À l’âge de dix ans, revenant de l’école à pied, j’ai été survolé par un vol de goélands dont j’ai imité le cri. Et contre toute attente, les goélands ont fait demi-tour et ont « dialogué » avec moi pendant une heure. Je suis rentré émerveillé à la maison en criant : « Maman, je parle aux oiseaux ! » Ayant découvert ce don d’imitateur, j’ai voulu aussi apprendre à siffler (et pas seulement à crier !). J’ai alors suivi des cours pendant un an avec le père de Johnny, qui était berger.
Johnny. Et moi, entendant mon père enseigner à Jean comment siffler, j’ai été pris de la même envie, sans doute un peu jaloux de la connivence née entre Jean et mon père. Cette passion d’imiter les oiseaux ne nous a plus quittés et a même soudé notre amitié. Encore jeunes, nous avons remporté plusieurs prix au Concours d'imitateurs d'oiseaux du Festival de l'Oiseau et de la nature d'Abbeville. Plus tard, nous avons « rassuré » nos parents en menant des études d’ingénieur, en ce qui me concerne, et de docteur en pharmacie pour Jean, mais en gardant intacte cette passion.
Comment avez-vous rejoint la scène ?
Johnny. C’est la scène qui est venue à nous ! Nous avons été repérés par le pianiste et improvisateur Jean-François Zygel, qui nous a réunis sur scène en 2006 pour le Festival des Forêts de Compiègne. Par ailleurs, en 2016, nous avons eu l’occasion d’enregistrer un disque, chez Mirare, avec la violoniste Geneviève Laurenceau et la pianiste Shani Diluka, qui a rencontré un vif succès.
Jean. À l’heure actuelle, nous avons un répertoire de plusieurs centaines d’oiseaux, que nous continuons à enrichir au gré de nos voyages partout dans le monde et de la fréquentation de sites web comme xenocanto.org, permettant d’entendre des chants d’oiseaux du monde entier. Au Japon, en quelques heures, nous avons réussi à imiter le chant de l’Uguisu, cet oiseau qui rend fous les Japonais, car c’est l’oiseau fétiche qui chante dans les cerisiers en fleurs. La salle était debout !
Comment s’établit le programme d’un concert et comment intervenez-vous ?
Johnny. On ne nous impose pas un répertoire mais on réfléchit très longtemps à la manière d’introduire des chants d’oiseaux dans la musique écrite. Il y a un respect à avoir vis-à-vis de la partition conçue par le compositeur. On profite des points d’orgue, d’un espace, d’une respiration… pour infiltrer des chants d’oiseaux. Certains sont tristes et mélancoliques voire plaintifs, d’autres guillerets et joyeux. La matière des chants d’oiseaux n’est pas neutre ; elle rappelle des éléments du vécu humain. C’est à nous de choisir les chants les plus appropriés aux œuvres abordées.
Jean. Je suis plus naturaliste dans mon approche, tandis que Johnny est plus artiste. Jean-François Zygel nous a d’ailleurs appris à « dénaturaliser » les chants d’oiseaux pour en faire un élément vivant, artistique. Chaque oiseau produit une matière sonore intéressante en soi. Même l’oiseau le plus effrayant, comme un vautour, peut être utilisé à bon escient. En fait, au concert, l’orchestre est un peu la « forêt » ou l’environnement naturel que nous peuplons d’habitants ailés. Aujourd’hui, en voyage, on arrive assez facilement à se faire accepter par de nouveaux environnements et à imiter de nouveaux chants. Nous sommes un peu devenus polyglottes (rire).
Comment réagit le public ? Faites-vous des émules ?
Jean. Les gens sont extrêmement touchés d’être ainsi reconnectés à une nature qu’ils ont perdu l’habitude d’écouter. La juxtaposition des chants d’oiseaux à la musique leur donne un écrin de premier choix qui ouvre les oreilles du public de manière incroyable. De plus, à notre époque où il est beaucoup question d’enjeux écologiques, nos concerts rencontrent un écho particulier. Ce n’est pas un but revendiqué mais un effet obtenu malgré nous. N’oublions pas que la population d’oiseaux est en train de s’effondrer… dans un silence assourdissant. Or, les oiseaux, par leur gamme sonore aigüe, nous reconnecte à l’univers aérien de manière magique !
Johnny. Nous donnons une centaine de concerts par an ! On n’aurait jamais cru cela possible quand nous étions jeunes. Récemment, nous avons chanté avec les orchestres de l’Oural, de Lima, de Paris, Genève, de Savoie, de Lille… Et cette discipline attire en effet beaucoup d’enfants et d’adolescents. Nous sommes justement en train de mettre sur pied des formations pour transmettre aux plus jeunes ces techniques d’imitation des chants d’oiseaux.
Propos recueillis par Éric Mairlot
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