Rencontre avec l'organiste Jonathan Scott
Avec son frère Tom, il propose à Liège ce dimanche 26 mai, à 16 heures, un programme de transcriptions pour piano et orgue de grandes œuvres symphoniques du répertoire. L'OPRL l'a rencontré.
Êtes-vous issu d’une famille de musiciens ?
Non, j'ai commencé à jouer du piano à l'âge de dix ans (mais je voulais apprendre bien avant). L'église attachée à mon école avait besoin d'un organiste et on m'a donc demandé de jouer. Ce fut mon premier contact avec l’orgue, et la passion ne m’a plus quitté. Tom, qui assistait également à mes leçons, a reçu ses premiers cours de piano peu après.
Qui furent vos principaux professeurs en Grande-Bretagne, aux États-Unis et aux Pays-Bas ?
Je ne pense pas avoir jamais eu un enseignant principal que je puisse nommer. J'ai commencé à travailler en autodidacte pendant les premières années puis j'ai suivi des cours avec un organiste local. Après cela, j'ai joué devant de nombreux et brillants organistes et essayé de nombreux orgues à travers le monde. J'aimais écouter toutes les idées et opinions des gens – il y en avait beaucoup – et je prenais mes propres décisions en fonction de mes goûts. Parce que je joue principalement du piano, et beaucoup avec des orchestres, mon approche est différente de celle de beaucoup d'organistes ; elle découle d'abord de la musique plutôt que de l'instrument.
D’où vous vient cette passion de la transcription ?
Nos grands instruments anglais étaient réputés pour jouer la musique d'orchestre. C'est souvent ainsi que les gens découvraient le répertoire orchestral, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, notamment lors de récitals donnés dans les mairies (Town Halls) de toutes les villes. Ces instruments sont toujours vivants aujourd’hui et utilisés en récital, ou pour accompagner les grands concerts choraux pour lesquels l’accompagnement d'orchestre est joué à l'orgue. Il me semble donc naturel de poursuivre cette tradition en créant de nouvelles transcriptions. C'est quand même incroyable de pouvoir aborder ce répertoire merveilleux sans avoir besoin d'un orchestre complet ni d'un chef d'orchestre ; et cela permet d’entendre de manière renouvelée des pages très célèbres.
Pensez-vous que c’est le meilleur moyen de faire apprécier l’orgue à un large public ?
Je pense que c'est un excellent moyen de présenter l'orgue à tuyaux à un public qui ne lui est pas acquis d’avance. Le plus important est de jouer de la bonne musique. L'orgue dispose d’un répertoire énorme, mais cela ne veut pas dire que tout est de la bonne musique. Les gens ont souvent peur de la musique pour orgue et inclure des transcriptions d'œuvres connues les aide à aimer l'orgue parce qu'ils écoutent d’abord « de la musique » et pas spécialement « de l’orgue ». YouTube permet également d'entendre et d'apprécier l’orgue différemment. L'aspect visuel est tellement important maintenant, et les gens aiment voir ce que joue un organiste. En outre, chaque instrument est différent et le public ne peut pas se déplacer pour entendre les orgues du monde entier. Mais avec YouTube, il peut voir et entendre de nombreux instruments différents, ce qui l’encourage finalement à assister à un vrai concert. J’édite également mes propres transcriptions, disponibles sur mon site web. Tous les jours, des gens du monde entier voient mes vidéos et veulent jouer certaines transcriptions.
Vous donnez une série de récitals d’orgue, sur le temps de midi, très populaires au Bridgewater Hall de Manchester. Quel est votre secret ? L’orgue est-il si apprécié en Grande-Bretagne ?
Les récitals d'orgue ont les mêmes problèmes partout dans le monde. Si les gens vont à un concert d'orgue et qu’ils n'aiment pas ce qu’ils entendent, ils ne retourneront peut-être jamais. Le public à Manchester est vraiment incroyable ; chaque récital est un événement dans lequel j’inclus de la musique d’orgue et des transcriptions. Le Bridgewater Hall est aussi un lieu spectaculaire ; l'orgue est magnifique avec une console mobile, ce qui permet de s'asseoir à l'avant-scène. Il faut aussi créer une bonne atmosphère pour permettre aux gens de profiter de la musique qu’ils entendent : soigner l’éclairage, permettre au public de bien voir l’interprète, sur scène ou sur écran. J’ai beaucoup de chance de présenter ces récitals au Bridgewater Hall ; c’est un sentiment très particulier d’avoir près de 1000 personnes à chaque concert.
Jouez-vous plus souvent dans les salles de concert que dans des églises ?
Je joue n'importe où pourvu qu’il y ait un orgue, des petites églises aux grandes cathédrales, en passant par des maisons de campagne et aussi de nombreuses salles de concert. C'est différent dans chaque pays : l'Asie et l'Extrême-Orient ont plus de salles de concert, mais en Europe, il y a plus d'instruments d'église que de salles de concert. Parfois, il est agréable de jouer dans des endroits inhabituels et d’être assis très près du public.
Combien de concerts par an donnez-vous ?
Environ 40 à 50 concerts par an, que ce soit seul à l’orgue, seul au piano, à 4 mains au piano, à deux pianos, orgue et piano, ou harmonium et piano…
Quels sont vos projets (concerts, CD…) ?
Je viens de terminer la transcription pour orgue seul de toute la Symphonie n° 3 « avec orgue » de Saint-Saëns, que j'ai interprétée pour la première fois en avril dernier. Je retourne à Taiwan en juin pour un nouveau concerto d'orgue avec l'Orchestre National de Chine, dans la Salle de concert de Taipei (au nord de l’île) et dans le tout nouveau Centre des Arts de la scène de Kaohsiung (au sud de l’île), qui possède le plus grand orgue d'Asie : 11000 tuyaux ! Je viens de publier mon CD « Automne », quatrième et dernier d’une série conçue autour de la transcription des Quatre Saisons de Vivaldi. En plus des concerts d’orgue, Tom et moi avons des concerts en duo dans de nombreuses salles, notamment en Norvège, en Lettonie, en France, en Suisse, à Singapour et en Corée du Sud. Nous sommes également impatients de jouer de l'harmonium et du piano à l'Opéra de Berlin. Nous essayons de créer des vidéos dans chaque lieu afin de pouvoir partager les instruments et la musique avec des gens du monde entier. C'est beaucoup de travail, mais je pense que c'est important d’œuvrer à trouver de nouveaux publics.
Quel type d’animation réalise Tom pour les orchestres ?
Les animations de Tom sont très amusantes à regarder et sont présentées sur de grands écrans en appoint à de nombreux types de concerts, adaptés à tous les âges. Elles sont un excellent moyen de faire découvrir la musique à un public plus jeune. D’ailleurs, nous organisons souvent un concert en famille l’après-midi, suivi d’un récital en soirée. Mais les adultes adorent les animations tout autant que les enfants ! Nous proposons aussi des animations pour différentes formules en duo pour des œuvres comme Le Carnaval des animaux de Saint-Saëns, Casse-Noisette de Tchaïkovski, et aussi une œuvre de Tom intitulée The Composer & The Mouse (« Le Compositeur et la petite souris »). Les orchestres symphoniques du monde entier utilisent ces animations dans de grandes salles de concert (Grande-Bretagne, États-Unis, Canada, Asie). En outre, nous venons de remporter le Concours 2019 de l’association ECHO (European Cities of Historical Organs - Villes européennes d’orgues historiques) pour créer un spectacle qui présente l’orgue à tuyaux au jeune public. Cela inclut les animations de Tom pour Les Tableaux d'une exposition de Moussorgski et une initiation à l'orgue, le tout accompagné par moi-même à l'orgue. Nous allons jouer cela dans les principaux festivals d'orgue à travers l'Europe, de 2019 à 2021.
Propos recueillis par Éric Mairlot