L'interview de Thomas Trotter : « Mon programme s’inscrit typiquement dans la Town Hall Tradition. »
Organiste titulaire du Town Hall et du Symphony Hall de Birmingham, Thomas Trotter propose le 5 février, à 16 heures, un récital entièrement dédié au répertoire pour orgue britannique. So British !
Historiquement, c’est au Royaume-Uni que les orgues de salles se sont développés au XIXe siècle, avant de se répandre sur le continent. Pourquoi selon vous ?
Au début du XIXe siècle, l’Europe disposait déjà de grands instruments attachés aux édifices religieux mais ce n’était pas le cas au Royaume-Uni où l’on ne concevait pas de grands instruments au-dessus du portail d’entrée, comme c’était le cas dans les grandes cathédrales du continent, mais seulement des orgues d’accompagnement situés près du chœur liturgique, où chantaient les choristes. Vers 1850, la révolution industrielle a permis la construction, en Grande-Bretagne, de salles de concerts municipales appelées Town Halls, abritant des orgues de grande taille. Les premiers grands instruments ont donc été placés dans des salles de concert, notamment à Londres, Liverpool, Manchester, Leeds, Sheffield, Huddersfield… Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle que l’on a placé de grands instruments également dans les édifices religieux, mais souvent en reléguant des sections entières de tuyaux dans des endroits ou galeries retirés, comme sous le dôme de la cathédrale Saint-Paul à Londres, par exemple.
Que jouait-on sur ces orgues de salles ?
Avec la révolution industrielle, la classe ouvrière s’est fort développée mais elle n’avait pas les moyens d’assister à des concerts symphoniques. Par ailleurs, ces orgues n’avaient pas encore de répertoire propre, ce qui explique que des organistes comme William Thomas Best (1826-1897), qui donnait trois récitals d’orgue par semaine au St. George’s Hall de Liverpool, se soient lancés dans la transcription d’un très grand nombre d’œuvres orchestrales, pour les rendre accessibles à tous.
En tant qu’organiste des deux grandes salles de concert de Birmingham, en quoi consiste votre travail ?
Je donne 20 concerts par an, la plupart sur l’orgue historique du Town Hall, et le reste – à peu près un quart à un tiers – sur l’orgue plus récent du Symphony Hall (2001). Ce sont des concerts de midi (Lunchtime Organ Concerts). Ils sont très largement suivis car cet horaire convient bien à des personnes plus âgées qui ne souhaitent pas venir à des concerts du soir. Le même principe est adopté dans d’autres salles à Leeds (concerts gratuits) ou à Manchester (Bridgewater Hall).
Comment est née votre passion pour l’orgue ?
Je suis né près de Liverpool. J’ai commencé le piano à cinq ans et l’orgue à 12 ans, avec le même professeur qui était à la fois pianiste et organiste. Ensuite, j’ai poursuivi ma formation au Royal College of Music de Londres, puis à l’Université de Cambridge, pendant trois ans, et enfin à Paris avec Marie-Claire Alain, pendant deux ans. Mais je n’ai jamais résidé à Paris ; j’avais un cours de deux heures tous les mois. Marie-Claire Alain m’a ouvert aux exigences d’une interprétation éclairée par l’usage de bonnes éditions, des doigtés anciens, de la connaissance des orgues classique et romantique français, en particulier concernant l’art de la registration (les mélanges des jeux).
Depuis quelques années, on assiste à un renouveau des orgues de salles en Europe (restauration d’instruments anciens, construction d’orgue neufs). Quel regard portez-vous sur ce phénomène ?
Je pense que c’est une très bonne chose car cela permet aux personnes qui ne fréquentent pas nécessairement les églises de découvrir le monde de l’orgue, confortablement installées.
Construit-on un orgue de salle comme un orgue d’église ?
Pas exactement. Les orgues d’église bénéficient d’acoustiques généreuses qui souvent les renforcent tandis les orgues de salle sont soumis à une acoustique plus sèche. Ils doivent être suffisamment puissants pour concurrencer ou renforcer l’orchestre. Mais en dehors de certains effets typiques des orgues de salle (comme des cloches), la facture est assez similaire.
Vous avez joué avec de nombreux chefs d’orchestre de premier plan. Était-ce principalement pour jouer la Symphonie n° 3 de Saint-Saëns et le Concerto de Poulenc ou avez-vous eu l’occasion de jouer beaucoup de concertos différents ?
Oui, je reconnais que ce sont de loin les œuvres les plus demandées par les orchestres et les chefs (rires). Mais j’ai aussi l’occasion de jouer des œuvres de Guilmant (Symphonies nos 1 et 2), Janáček (Messe glagolitique), Jongen (Symphonie concertante), Samuel Barber (Toccata festiva), Hindemith (Concerto), Poul Ruders (Organ Symphony) et Kenneth Leighton (Concerto pour orgue, cordes et timbales, ce qui le rend très facile à jouer avec celui de Poulenc).
Propos recueillis par Éric Mairlot