[INTERVIEW] Alberto Menchen : « En tant qu’Espagnol, je me sens naturellement lié aux caractéristiques stylistiques de la Symphonie espagnole de Lalo. C’est la première fois que je la jouerai en concert. »
Le concertmeister de l'OPRL partage son enthousiasme à l'idée d'interpréter pour la première fois Lalo en concert, le 26 avril, à 16 heures. Il évoque l'œuvre ainsi que ses liens avec Gergely Madaras et ses projets.
Le 26 avril, vous interpréterez avec Gergely Madaras et l’OPRL la Symphonie espagnole de Lalo. Qu’est-ce qui a guidé ce choix ?
Nous tenions à jouer ensemble pour la première fois une œuvre concertante à la Salle Philharmonique avant son départ, et c'était important de marquer ce moment. Je ne voulais pas jouer une œuvre de courte durée, c'est pourquoi j'ai choisi la Symphonie espagnole, qui est plus qu'un simple concerto où l'orchestre accompagne. Le terme « symphonie » souligne la place du chef et de l'orchestre, presque à égalité avec le soliste, et la partition comporte cinq mouvements. En tant qu'Espagnol, je me sens naturellement lié aux caractéristiques de cette œuvre. C'est un défi pour moi, car c'est la première fois que je vais la jouer en concert. C'est une œuvre très complexe pour le violon, qui exige beaucoup de technique tout en gardant une cohérence dans chaque mouvement.
Comment s'est développé votre lien avec Gergely Madaras au fil des années ?
Il s'est développé tant sur le plan amical que professionnel. Nous avons créé une vraie connexion, marquée par une compréhension rapide et une belle complicité. Cette amitié s'est renforcée pendant la période du Covid, où chaque situation était compliquée et demandait beaucoup de souplesse. Gergely aime avoir des retours de plusieurs musiciens et a toujours été intéressé par mon avis. Avoir partagé des moments difficiles a vraiment renforcé notre relation. Après six ans à travailler ensemble, nous nous connaissons très bien et restons en contact régulièrement, que ce soit par téléphone, par message ou lors de nos retrouvailles à Liège pour le travail.
Que lui apportez-vous en qualité de concertmeister ?
En tant que concermeister, je lui apporte ma sincérité et mon honnêteté, tout en respectant le cadre professionnel. Je n'hésite pas à lui faire part d'un problème que je remarque, en gardant le respect pour la hiérarchie. Je suis aussi exigeant, car je sais de quoi il est capable, et je veux qu'il donne le meilleur de lui-même, sans que cela ressemble à de la pression. Ce qui définit notre relation, c'est le respect mutuel et la volonté de s'améliorer ensemble.
Que vous apporte-t-il en tant que Directeur musical ?
Gergely a aussi beaucoup contribué à améliorer la qualité de l'Orchestre, en s'investissant au quotidien et en restant informé pour prendre les meilleures décisions.
Gergely est une personne très positive, toujours soucieuse du bien-être des autres. Son talent est évident, et il reste frais et spontané. Il semble rarement fatigué ou contrarié, ce qui rend l'atmosphère de travail agréable et productive. Il est très ouvert aux idées des autres et évite d’imposer ses propres opinions. Gergely a aussi beaucoup contribué à améliorer la qualité de l'Orchestre, en s'investissant au quotidien et en restant informé pour prendre les meilleures décisions. Depuis son arrivée, de nouveaux musiciens ont rejoint l'Orchestre, apportant leur énergie tout en continuant le travail des « anciens ». Grâce à cette dynamique et à l'énergie de Gergely, l'Orchestre continue de bien progresser.
Quels sont vos projets en dehors de l’OPRL pour 2025 ?
Je fais aussi partie de l'Orchestre de la Radio de Cologne, où j'ai plusieurs projets variés. Le répertoire de cet orchestre est très large et comprend souvent des pièces nouvelles et des arrangements originaux. Par exemple, nous avons un concert qui va du répertoire baroque aux Beatles, un autre qui célébrera 100 ans de musique Disney, et un autre qui présentera des thèmes célèbres de la télévision. Il y aura même un concert dédié aux musiques de pièces radiophoniques, avec des acteurs et des bruitistes sur scène. Je suis également le coach d'un orchestre de jeunes, la Jeune Philharmonie germano-franco-hongroise, à Bayreuth. L'année prochaine, je vais jouer pour la première fois en tant que soliste avec eux. De plus, je vais intégrer pour la 8e année l'Orchestre du Festival de Bayreuth. Je suis passionné par l'univers de Wagner, et jouer avec des collègues devenus de véritables amis (on est une grande famille) est essentiel pour moi. Cela me permet aussi de profiter de l'été avec eux et de partager d'autres passions comme le golf, le football ou de se balader dans la belle nature de la région allemande appelée Suisse franconienne, tout en continuant à découvrir ses beautés. Et bien sûr, nous faisons aussi la fête (rires) !
Marc Bouchkov possède plusieurs de mes violons, et c'est grâce à lui que j'ai pu me consacrer pleinement à cette passion.
Parlez-nous de l'une de vos passions : la lutherie. Depuis quand vous y intéressez-vous ?
Tous les violonistes sont fascinés par leurs instruments, qui allient fonctionnalité et beauté. Pour ma part, pendant mes études à Paris, j'ai eu la chance de me lier d'amitié avec Jacques Fustier, un luthier de Lyon dont le travail m'émerveillait. Il m'a montré de nombreux aspects de son métier. Malheureusement, il est décédé en 2013. Après sa disparition, j'ai fait la connaissance de Patrick Charton, un autre luthier dont les connaissances m'impressionnaient. Lui aussi est parti trop tôt, en 2020, ce qui m'a beaucoup touché et laissé un vide considérable. Cela m'a poussé à m'intéresser à la lutherie. Au début, je fabriquais de petits accessoires (mentonnières, épaulières) tout en expérimentant le travail du bois. En 2020, après la perte de Patrick, je me suis intéressé à la fabrication de violons grâce à mon ami, le violoniste Marc Bouchkov, qui m'a fait rencontrer un autre luthier, Johannes Günther, qui travaille dans une région reculée près de Hambourg. Cela a été un tournant décisif qui m'a encouragé à me lancer pleinement dans la fabrication d'instruments. Depuis, j'ai créé plus d'une dizaine de violons et un alto. Ce qui m'intéresse particulièrement, c'est d'observer comment chaque instrument est différent du précédent et d'obtenir des retours de ceux qui les utilisent pour continuer à progresser. L'un de mes instruments est actuellement joué par un membre de l'Orchestre de la Radio de Francfort. Marc Bouchkov possède plusieurs de mes violons, et c'est grâce à lui que j'ai pu me consacrer pleinement à cette passion. Avec le temps, j'ai appris qu'il ne faut jamais se précipiter dans la fabrication d'un instrument. Il faut réfléchir, parfois laisser décanter les choses, et ne pas aller trop vite. Peu importe si cela prend plus de temps que prévu, c'est la clé d'un bon résultat…
Propos recueillis par Stéphane Dado
En concert dans la série Chez Gergely, le samedi 26 avril à 16h à la Salle Philharmonique.