[INTERVIEW] Jonathan Fournel : « Il a suffi que mon père m’offre des enregistrements de György Cziffra pour que tout à coup la magie opère. »
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Vainqueur du Concours Reine Elisabeth, en 2021, le pianiste français Jonathan Fournel revient sur sa passion pour Brahms et explore la filiation qui unit Chopin et Szymanowski.
Comment êtes-vous venu au piano ?
À l’âge de 7 ans, je voulais jouer du trombone, mais mon père organiste, craignant le son imposant du trombone, m’a plutôt orienté vers le piano (rire). Au début, je n’étais pas très motivé et je ne travaillais pas assez, mais il a suffi que mon père m’offre des enregistrements de György Cziffra pour que tout à coup la magie opère et que j’aie envie de jouer le grand répertoire. Ensuite, j’ai progressé très vite ; j’adorais déchiffrer de nouveaux morceaux.
Au cours de votre formation, vous avez travaillé avec de nombreux professeurs. Pourriez-vous nous dire un mot de votre parcours ?
Étant né dans l’est de la France, en Moselle, j’ai d’abord étudié au Conservatoire de Strasbourg, mais plutôt les « petites pièces ». À 11 ans, j’ai été reçu en filière Jeune talents, à la Hochschule de Sarrebruck, ville frontalière allemande, où j’ai travaillé quatre ans avec Robert Leonardy. Ce dernier m’a encouragé à me lancer dans les œuvres virtuoses de Brahms et de Liszt, que j’avais envie de jouer. J’ai eu beaucoup de chance de travailler aussi avec son assistant Jean Micault, un ancien élève d’Alfred Cortot qui avait un haut niveau d’exigence. C’est eux qui m’ont permis de jouer la première fois avec orchestre, dans le Concerto n° 3 de Beethoven.
À 13 ans, j’ai rencontré Gisèle Magnan, avec qui j’ai finalement travaillé durant 15 ans. Avec elle, j’ai repris d’abord l’étude de Mozart et Beethoven pour repartir sur de bonnes bases. Puis j’ai tenté ma chance au Conservatoire Supérieur de Paris, où j’ai étudié avec Bruno Rigutto (qui prenait sa retraite un an plus tard), Brigitte Engerer (décédée prématurément), Claire Désert et finalement Michel Dalberto (pendant trois ans). Enfin, au sein de la Chapelle Musicale Reine Elisabeth, j’ai étudié avec Louis Lortie et donné beaucoup de concerts de musique de chambre avec les maîtres en résidence, ce qui reste le meilleur des apprentissages.
Le Concours Reine Elisabeth a tout changé : je suis passé du calme absolu à un agenda rempli pour deux ans !
Votre victoire au Concours Reine Elisabeth, en 2021, a-t-elle été déterminante ?
Cela a tout changé (rire). Je sortais d’une période de grand calme due au Covid, puis je me suis retrouvé avec un agenda de deux ans de concerts ! Un plombier qui était venu chez moi m’a tout de suite reconnu, ce qui était inattendu… J’ai reçu aussitôt des propositions d’agents et de labels, de salles de concerts, d’orchestres… Le changement était à la fois génial et radical. Le Concours a été fort médiatisé mais s’est passé à huis clos, sans public. J’ai été marqué par la finale et la proclamation devant une salle vide. En fait, c’est surtout maintenant que le contact avec le public belge se noue. Du coup, j’ai l’impression de vivre le Concours avec trois ans de retard (rire).
Votre récital à Liège commence avec J.-S. Bach et se poursuit avec des compositeurs qui comptent beaucoup pour vous et que vous avez enregistrés récemment, Brahms, Szymanowski, Chopin…
En récital, j’aime aborder différents styles, souvent de manière chronologique. Bach étant la base de tout, il est naturel de commencer avec lui, cette fois avec le solaire Concerto italiano qui montre son degré d’assimilation du style italien. Brahms est mon chouchou depuis toujours. J’ai beaucoup d’affinités avec lui, en raison de la nature orchestrale de sa musique où se ressent le dialogue entre divers instruments. Après avoir beaucoup pratiqué ses œuvres de jeunesse, virtuoses, j’avais envie d’aborder ses derniers opus, comme les Intermezzi op. 117, des pages en demi-teintes où s’expriment à la fois la sagesse et la sérénité du compositeur, qui cherche l’épure et va à l’essentiel.
La deuxième partie du récital est consacrée à Chopin et Szymanowski entre lesquels existe une filiation évidente. Chopin a fort influencé les compositeurs polonais, ukrainiens et russes. Je commencerai avec les Variations sur un thème folklorique polonais dans lesquelles Szymanowski fait preuve d’une virtuosité juvénile et d’une écriture très contrastée (on dirait du Chopin, shooté à Wagner et Mahler !). Et je conclurai avec la Troisième Sonate de Chopin, pleine de vie et d’énergie, qui constitue un vrai tremplin pour ses successeurs Szymanowski et Scriabine.
Quelles œuvres vous attirent sans que vous n’osiez pourtant les aborder ?
Je dirais les trois dernières (et monumentales !) Sonates de Schubert, que je voudrais jouer après avoir travaillé les œuvres de jeunesse. Je pense aussi aux Variations Goldberg de Bach, qui restent intimidantes, et à des cycles de Schumann comme le Carnaval et les Kreisleriana, qui comportent beaucoup de pièces courtes, cycles auxquels j’ai encore du mal à donner du sens.
Êtes-vous tenté de jouer des répertoires non classiques ?
Pour le moment c’est surtout le répertoire romantique qui m’occupe, mais je pourrais à l’occasion reprendre des œuvres de nombreux amis compositeurs. J’aimerais aussi beaucoup rejouer le Concerto n° 1 de Ginastera, qui est très différent de ce que l’on joue couramment.
Êtes-vous tenté par la direction d’orchestre ?
Alors oui, c’est quelque chose que j’aimerais beaucoup aborder un jour, mais après avoir travaillé les grands concertos que je n’ai pas encore à mon répertoire. D’ailleurs, si je n’avais pas obtenu de prix au Concours Reine Elisabeth, je me serais présenté aux Concours Chopin et Van Cliburn. Et si je n’avais rien obtenu, je serais parti en Finlande pour étudier la direction d’orchestre.
Quels sont vos projets ?
J’ai plusieurs concerts avec le violoncelliste Victor Julien-Laferrière, autre vainqueur du Concours Reine Elisabeth, des concerts en Corée et au Japon, notamment avec les deux Concertos de Brahms et le Concerto de Grieg, que je jouerai pour la première fois. Je prépare également un autre récital avec une sonate de Beethoven (l’opus 109 ou l’opus 110), quelques Fairy Tales de Medtner et la Sonate de Liszt.
Propos recueillis par Éric Mairlot
En récital dans la série Piano 5 étoiles, le dimanche 2 mars à 16h à la Salle Philharmonique.