Interview : les 7 péchés capitaux selon Pierre Solot
Le mercredi 19 janvier, à 18h30 et 20h15, le nouveau présentateur des Music Factory soumettra le public à la tentation. En attendant, il revient sur la notion de « péché » en musique.
Quels sont les péchés les plus illustrés par les compositeurs ?
Tout dépend du genre musical abordé. Si on se plonge dans l’opéra, on y retrouve tous les péchés capitaux, à commencer par la colère qui traverse pratiquement toute l’histoire du genre. Elle concerne aussi bien les dieux que les hommes. Le personnage qui vient immédiatement à l’esprit est celui de la Reine de la nuit dans La Flûte enchantée de Mozart, figure dont les cris témoignent de l’irritation. La colère et l’idée de faute, de réparation ou de rédemption qui l’accompagnent, sont des moteurs narratifs très intéressants sur scène. Et pas qu’à l’opéra : beaucoup de musiques descriptives permettent d’évoquer les péchés, même si certains d’entre eux sont nettement moins évidents à illustrer dans le cadre du répertoire symphonique.
Y a-t-il des « ficelles » musicales que l’on identifie d’emblée pour chaque péché ?
Pas toujours, mais il y en a ! À titre d’exemple, je peux évoquer la luxure qui donne lieu à un tournoiement orchestral, à un débordement frénétique très clairement d’ordre sexuel. On le ressent en particulier dans la Bacchanale de Saint-Saëns qui sera au programme du Music Factory. Dans cette œuvre, le recours aux sonorités orientalisantes évoquées par les intervalles de secondes augmentées suggère quelque chose de langoureux et de charmeur qui procède directement de la séduction, loin de toute forme d’exotisme. Autre exemple, la colère s’exprime par un fracas orchestral puissant et des rythmes agressifs. Nous illustrerons cela à travers une des musiques de film les plus célèbres de Nino Rota : « La colère de Zampano », extraite de La Strada de Fellini.
Certains péchés sont-ils plus ardus à mettre en musique ?
Très clairement, cette séance aura été l’une des plus difficiles à imaginer parce qu’il n’y a pas systématiquement une musique orchestrale pour chaque péché. On a dû louvoyer et choisir parfois des voies détournées. Cela a été le cas pour l’envie où c’est plutôt le thème de la jalousie qui en découle qui sera mis en avant. Le public découvrira ainsi la très belle Ouverture « Jalousie » de Janáček, un tableau symphonique tiré son opéra Jenůfa. Pour la gourmandise, là non plus rien d’évident. J’ai alors pensé aux musiques décoratives qui accompagnaient les banquets de l’époque baroque, ce que l’on appelle les « musiques de table », des œuvres de circonstance liées à une consommation de nourriture en grande quantité. Ces pièces sont contrastées et constituent dès lors un divertissement total au moment des repas. L’OPRL interprétera pour l’occasion une des Tafelmusik de Telemann, un contemporain de Bach et de Haendel. Pour l’orgueil, l’Orchestre fera entendre un tube, la « Polonaise » de l’opéra Eugène Onéguine de Tchaïkovski, dont le personnage principal renonce à l’amour par orgueil.
Certains péchés sont directement illustrés par la vie des compositeurs. Dans quel cas ?
L’avarice posait de réels problèmes et plutôt que de l’évoquer en musique, j’ai préféré me référer à l’avarice notoire d’un compositeur, Igor Stravinsky, dont on jouera la Circus Polka. L’œuvre rappellera que le musicien russe était un négociateur hors pair avec ses partenaires et qu’il réorchestra la plupart de ses partitions afin de continuer à toucher des royalties (à son époque, les œuvres tombaient dans le domaine public après seulement 30 ans). La paresse m’a permis de me tourner vers Rossini qui cumule à lui seul tous les péchés… Pourquoi la paresse ? Il a une fâcheuse tendance à recycler dans une même pièce des dizaines de mesures à l’identique, il fait de vrais « copier-coller » dans ses célèbres crescendos, certes pour des raisons de symétrie de la forme mais c’est sans doute aussi un peu par paresse. L’enivrante ouverture du Barbier de Séville illustrera cela…
Quel péché vous correspond le plus ?
La gourmandise ! J’ai toujours pu manger autant que je voulais à n’importe quelle heure. Mais depuis deux ou trois ans mon estomac me dit que je n’en suis plus capable : ma gourmandise est brimée par mon « grand âge ». Il faudra trouver un autre péché pour m’épanouir jusqu’à la fin de mes jours...
Propos recueillis par Stéphane Dado