La La Land : « Après cet épisode du Covid, nous avons besoin de légèreté, c'est ce que l’on retrouve dans cette musique… »
À la tête de l'OPRL les 1er et 2 octobre, le chef d'orchestre Dirk Brossé évoque la musique de Justin Hurwitz, l'univers de John Williams et sa manière d'appréhender les musiques de films.
Quel rapport entretenez-vous avec le monde de la comédie musicale ?
J’adore cet univers. J’ai appris la trompette au Conservatoire de Musique de Gand et durant mes études, j’ai découvert les comédies musicales en jouant dans des orchestres de fosse. Cela m’a immédiatement attiré. J’ai commencé à en écouter beaucoup. Pour moi, West Side Story (Bernstein) reste un chef-d’œuvre incroyable tout comme Porgy and Bess (Gershwin), qui est au départ un opéra mais que j’associe au monde de la comédie musicale.
Aviez-vous déjà interprété la musique de La La Land ?
Malheureusement non. Il faut dire que le film est assez récent. J’ai eu toutefois quelques demandes juste après sa sortie, mais je n’étais pas libre. Ce sera donc une première et je suis heureux que cela soit avec l’OPRL.
Quel est votre avis sur la partition et sur le film ?
La La Land a eu énormément de succès, l’Oscar (Academy Award®) de la meilleure musique a d’ailleurs contribué à celui-ci. C’est de l’entertainment à 100% américain avec une partition extrêmement bien faite et efficace qui est le fruit du travail de plusieurs orchestrateurs. Il y a un florilège de styles typique des musicals, avec des parties qui évoquent le répertoire classique, d’autres inspirées par le jazz, des moments latinos et des passages plus chambristes. Les airs sont magnifiquement conçus, ils nous donnent l’impression d’être connus et de figurer dans notre mémoire collective tant il y a en eux quelque chose de familier. J’aime énormément cette partition, même si elle est très difficile et demande une maîtrise particulière. Elle véhicule un message très positif. Après cet épisode du Covid, nous avons besoin de légèreté ; c’est ce que l’on retrouve dans cette musique.
En quoi jouer en direct sur un film est un défi pour le chef et les musiciens d'un orchestre ?
Lorsqu’on dirige un concert traditionnel, nous savons que le tempo des répétitions et celui du concert peuvent varier pour toute une série de motifs. Diriger une musique de film implique une autre dynamique : le vrai chef d’orchestre pour le tempo, c’est le film ! Il n’y a pas de libertés ou de fluctuations possibles car l’unique nécessité est de synchroniser la musique avec l’image. C’est encore plus vrai pour les comédies avec chorégraphies où il faut être coordonné au millimètre près tant avec les comédiens qu’avec les danseurs. Pour parvenir à cela, tous les musiciens de l’orchestre sont dotés d’un casque. Ils entendent des clics qui leur donnent le tempo exact. Jouer ces notes tout en écoutant les clics est extrêmement difficile pour eux.
Peut-on se passer de ces casques ?
Moi j’essaye d’éviter au maximum leur utilisation en me fiant au code temporel (timecode) qui défile au-dessous du film. Je privilégie cette méthode qui me permet, entre deux codes, quelques fluctuations du rythme et donc quelques libertés. Celles-ci humanisent le rendu musical et rendent la partition plus chaleureuse… Il n’est cependant pas toujours possible de se passer des clics.
Accompagner un film en direct, est-ce pour autant un exercice simple pour des musiciens ?
L’accompagnement d’un film, c’est comme un nouveau métier pour eux et cela n’a rien d’évident. Je trouve d’ailleurs que les conservatoires devraient systématiquement proposer cette discipline à leurs élèves. Un musicien qui s’exerce à la musique de film n’a aucune liberté, il est dans une prison rythmique. Jouer sur un clic tout en essayant de garder une qualité musicale s’avère extrêmement compliqué car le clic est très perturbant à l’oreille. Il faut donc apprendre à avoir les bons réflexes. Selon moi, les jeunes musiciens se sont adaptés plus vite que les anciens. La vieille génération a plus de mal, la pratique est encore trop nouvelle pour elle, même si elle est consciente que pour survivre et trouver de nouveaux publics, il faut passer par là.
Qu’apporte un véritable orchestre symphonique en comparaison d’une bande-son ?
Écouter le film avec un orchestre plutôt qu’avec une bande-son permet de mieux entendre la partition et les instruments dans le moindre détail. Le son a plus de relief, il est moins uniforme, moins lisse. C’est le compositeur John Williams lui-même qui m’a fait remarquer la valeur ajoutée de cette pratique.
Vous avez eu l’occasion de collaborer avec John Williams. À quelles occasions ?
La collaboration a commencé à Los Angeles, il y a une quinzaine d’années, dans le cadre de la tournée « Star Wars in Concert ». Je suis arrivé là un peu par hasard pour remplacer un chef qui avait du mal à suivre à la fois la musique de Star Wars et le film. Il a été remercié un vendredi. Le lundi qui suit, je reçois un appel de John Williams en personne (je l’avais déjà rencontré quelques fois auparavant) ; il me demande d’assurer le remplacement. Quatre jours plus tard, j’arrive à l’aéroport de Los Angeles où je reçois les partitions à la descente de l’avion. J’ai étudié pratiquement toute la nuit. Le contact avec les musiciens se passe très bien même s’ils sont un peu pris de panique car je souhaite travailler sans casques et sans clics. Le résultat satisfait néanmoins tout le monde. John Williams est sorti du studio et m’a pris dans ses bras pour me remercier. Il m’a aussitôt proposé un travail auquel je ne m’attendais pas : la direction artistique d’une tournée Star Wars comprenant 186 concerts. Je ne les ai pas tous dirigés, mais cette tournée m’a permis d’être à la tête d’orchestres magnifiques — dont ceux de Los Angeles et de Boston — dans des salles prestigieuses. J’ai ainsi pu donner des concerts aux USA, en Amérique du Sud et en Asie. C’est la première fois que je dirigeais un projet incluant l’association d’un film et d’un orchestre symphonique. Cela ne m’a plus quitté…
Quelle impression John Williams vous a-t-il laissée comme homme et comme artiste ?
C’est un monsieur très humble et hyperdoué qui connaît bien sa place dans l’histoire de la musique. Pour lui, c’est Bach, Mozart, Beethoven, Sibelius, Holst, Prokofiev qui sont les vrais grands compositeurs et les seuls dieux. Il est très modeste alors qu’il est lui-même à l’origine d’un style unique. J’admire chez lui son orchestration et sa capacité à pouvoir créer une atmosphère avec simplement deux ou trois notes. Il sait comment associer immédiatement une mélodie à un personnage ou à une situation donnée.
Vers quelle direction s'acheminent aujourd'hui les musiques de film ?
Aujourd’hui, les musiques de film ne sont plus vraiment mélodiques. Elles sont plutôt faites d’ambiances sonores, de sons que le cerveau n’est pas capable de mémoriser. Le cerveau retient les rythmes et les mélodies. Tout le reste n’est pas conservé par la mémoire. Cette tendance a été lancée par Hanz Zimmer. On peut même parler d’un avant et d’un après Zimmer. Avant lui, la bande sonore était constituée des dialogues, des bruitages et de musique, trois éléments bien distincts. Zimmer a fusionné les deux derniers. Il a créé de belles ambiances. Depuis lors, ces ambiances sonores restent relativement les mêmes et tout devient un peu similaire et donc impersonnel, il n’y a plus une griffe ou une patte qui permet de deviner qui a composé un morceau. Il y a heureusement des compositeurs qui ont des univers personnels et forts mais ils sont peu nombreux. Parmi eux, l’Islandais Jóhann Jóhannsson mais aussi Max Richter, un musicien authentique, capable d’écrire une symphonie tout en étant féru de musique électronique et de minimalisme. J’aime aussi Michael Nyman, immédiatement identifiable par ses timbres particuliers (les sons de saxophones associés à la percussion ou au vibraphone). Il y aussi des jeunes très prometteurs : Steven Price qui a écrit la musique de Gravity (là encore un compositeur avec une formation traditionnelle qui se plonge dans l’électronique). Cliff Martinez (Solaris) qui utilise des steel drums intéressants et innovants et qui est très peu mainstream. Danny Elfman est aussi très doué tout comme Alexandre Desplat chez les Français.
Vous enseignez la composition au Conservatoire Royal de Gand. Comment abordez-vous cet art avec vos étudiants ?
Les gens qui viennent chez moi viennent pour une raison particulière. Je laisse chaque élève dans son univers sans rien changer à son talent. J’essaye juste d’ouvrir des petites fenêtres en suggérant à chacun d’écouter telle ou telle chose ou en développant une technique ou l’autre. Je me sens plus comme un coach, sans la moindre idée préconçue, je n’impose rien, je reste très ouvert. J’ai un faible pour les étudiants qui ont du talent et qui peuvent déjà écrire avec des idées très prononcées. Un élève intéressant est quelqu’un qui m’apprend des choses. Sinon le travail est stérile…
Propos recueillis par Stéphane DADO
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