L'interview de Stéphane Mottoul
Le dimanche 17 mars, à 16 heures, l'organiste belge chevauchera l'orgue Schyven de la Salle Philharmonique pour une improvisation sur le film "Le cabinet du docteur Caligari". L'OPRL l'a rencontré à cette occasion.
Stéphane Mottoul, vous avez étudié en Belgique, en France et en Allemagne. Pourriez-vous nous parler de votre parcours ?
Je suis né dans une famille de musiciens : ma mère est pianiste et mon père organiste. J’ai pris mes premiers cours d’orgue à l’âge de 12-13 ans, à Bertrix, avec Bernard Michel. Très tôt, l’orgue m’a plu par son côté polyvalent, son large répertoire mais aussi l’ouverture qu’il permet vers l’improvisation et la composition. J’ai aussi pratiqué le jazz à l’académie. À la fin de mes études secondaires, mes parents ont essayé de me dissuader d’entreprendre une carrière musicale en raison des incertitudes que comporte la vie de musicien. Mais j’ai tenu bon et j’ai intégré la classe d’orgue de Benoît Mernier à l’IMEP (Namur). Grâce à Henri-Franck Beaupérin, que j’avais côtoyé en session d’été dans la Loire, j’ai pu rencontrer Pierre Pincemaille, titulaire de l’orgue de la Cathédrale de Saint-Denis, qui m’a accepté dans sa classe de Saint-Maur-des-Fossés. Il a été pour moi un véritable père ; c’est lui qui m’a vraiment donné le goût de l’improvisation, de l’écriture, du contrepoint, etc.
Vous avez également étudié avec l’un des plus grands professeurs allemands…
Tout en achevant l’improvisation à Saint-Maur-des-Fossés, j’étudiais l’interprétation à Stuttgart avec Ludger Lohmann. Ce fut une magnifique période, nourrie par l’enseignement de deux personnalités éminentes et complémentaires. Par sa rigueur musicologique et sa grande culture, Ludger Lohmann enseigne comment affiner le style et travailler de manière efficace. C’est aussi quelqu’un d’amical, qui n’hésite pas à fêter Noël avec ses élèves et à partager régulièrement avec eux une bouteille de vin... La Musikhochschule de Stuttgart bénéficie en outre d’infrastructures incroyables : dix orgues de styles différents et plus de 20 clavecins, clavicordes et pianoforte. C'est de cette formation à Stuttgart que je tiens mon émerveillement pour la grande école d'orgue allemande, de Bach à Reger, en passant par Mendelssohn, Schumann et Liszt. Mais j’aime aussi les opéras de Wagner et de Richard Strauss !
Vous avez ensuite retrouvé Pierre Pincemaille au Conservatoire Supérieur de Paris…
Pierre m’avait dit : « Fils, tu as encore des choses à apprendre, en particulier les cours d’écriture. » En France, les cours d’écriture ont cette particularité rare qu’ils vous imposent d’écrire « dans le style de ». Pour mon Premier Prix d’harmonie, chez Yves Henry, j’ai donc dû écrire un mouvement de quintette à cordes dans le style de Mozart, une scène d’opéra dans le style de Wagner et une pièce de piano dans le style de Ravel. Pour le contrepoint, Pierre Pincemaille m’avait demandé d’attendre un an pour bénéficier d’un programme plus spécifiquement dédié aux organistes. Le décès de Pierre, en janvier 2018, a malheureusement mis un terme à ce projet. Au Conservatoire de Paris, j’ai également travaillé l’improvisation avec Jean-François Zygel, László Fassang et Thierry Escaich. L’enseignement de ce dernier était très complémentaire de celui de Pierre Pincemaille car il était très attentif aux qualités « d’écriture » de nos improvisations. En nous écoutant à l’autre bout de la classe d’orgue, il était capable de reconstituer au piano des passages entiers que nous venions d’improviser, tout en faisant ses commentaires.
Quelle est votre expérience en matière d’improvisation sur des films muets et comment s’y prépare-t-on ?
J’ai travaillé sur des courts métrages de Chaplin, mais aussi sur des longs métrages de Murnau comme L’Aurore, Nosferatu, Le Dernier des hommes, ou encore Berlin, symphonie d’une grande ville de Ruttmann… C’est la première fois que j’improviserai sur Le cabinet du Docteur Caligari. Ce qui est formidable avec ce film, c’est de réaliser que Robert Wiene est parvenu à créer un chef-d’œuvre de l’expressionnisme allemand, avec somme toute très peu de moyens (l’Allemagne était exsangue en 1920), notamment des décors en carton-pâte… En ce qui me concerne, j’ai commencé à visionner le film il y a trois mois, en silence sur mon ordinateur, en plusieurs extraits de 20 minutes environ (je trouve assez difficile de regarder un film muet d’un seul tenant, sans accompagnement musical…). Ensuite, les idées sont venues naturellement, même en rue. Il faut veiller à créer une certaine unité à l’échelle des scènes mais aussi du film entier. À cette fin, l’usage de leitmotive (liés à l’amour, la violence, le suspense…) est très utile. Dans certains cas, on peut aussi imaginer des bruitages à synchroniser avec des gestes-clés à l’écran, ou reprendre des thèmes connus du public tout en les transformant. Parfois, il faut aussi s’affranchir de toutes les règles pour faire un grand geste spontané, même si c’est un peu « n’importe quoi » ! C’est l’impulsion qui prime, et souvent, c’est la musique qui « porte » un film.
Propos recueillis par Éric Mairlot
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