Michel Fourgon s'est plongé dans le "Divan"
Rencontre avec le compositeur liégeois à l'occasion de sa nouvelle création pour trombone, chœurs et orchestre inspirée du "Divan" de Goethe. Création le 31 janvier dans le cadre du Festival Storytelling.
Pourquoi un Concerto pour trombone, chœur d’hommes et orchestre ?
Par le jeu des circonstances. J’ai toujours été fasciné par le jeu d’Alain Pire, son aisance technique, sa sonorité ronde, pleine et chaleureuse… Étant sollicité par le CAV&MA, l’idée d’associer le trombone et l’OPRL au Chœur de chambre de Namur m’est venue naturellement. En évoquant ce projet avec Pierre Bartholomée, lors d'une conversation amicale, celui-ci m’a rappelé l’existence d’un concerto du même type : le monumental Concerto pour piano op. 39 de Busoni, dont le finale requiert lui aussi l’intervention d’un chœur d’hommes. Quand je l’ai écouté, j’ai trouvé que cela fonctionnait vraiment bien. Mais l’analogie avec l’œuvre de Busoni s’arrête là. J’ai déjà constaté plusieurs fois que des alliances de timbres inaccoutumées fonctionnaient très bien. Plus un projet est fou et atypique, mieux ça va pour moi…
Comment s’est fait le choix de Goethe ?
Je suis un grand amoureux de littérature et de celle de Goethe, en particulier. C’est un écrivain que je lis depuis mon adolescence. Comme Shakespeare et Proust, il parle de tristesse, d’amour, de nature, mais aussi de faire la fête, de boire du bon vin… C’est un auteur assez direct, qui parle à tout un chacun, sans circonvolutions inutiles. Quand l’OPRL m’a proposé d’insérer la création du Concerto dans un concert comportant notamment la musique de scène d’Egmont de Beethoven, écrite sur des textes de Goethe, l’idée s’est imposée à moi… Je me suis donc tourné vers un vaste recueil de poèmes de Goethe, le Divan d’Occident et d’Orient, lui-même inspiré du Divan d’un grand poète perse du XIVe siècle, Hafez de Chiraz. J’y ai prélevé 11 extraits qui constituent le texte chanté par le chœur. Dans le contexte actuel mondial, celui des réfugiés notamment, je pense que ce dialogue des cultures prend tout son sens.
Comment s’organise le matériau thématique ?
Dans mon Concerto pour clarinette « La Brise du roseau » de 2005 (créé par Jean-Pierre Peuvion, l’OPRL et Pascal Rophé), j’avais déjà tenté un rapprochement des cultures moyen-orientale (avec une mélodie palestinienne) et européenne (avec la 10e Symphonie de Mahler). Ici, j’ai utilisé deux sources : une polyphonie italienne anonyme du XVIe siècle et un tout petit fragment (quelques notes) d’une mélodie traditionnelle persane jouée sur une flûte ney. J’ai d'ailleurs composé une œuvre préparatoire à mon concerto, qui a été créée au Festival de Stavelot 2018, lors d’un concert donné par le quintette de cuivres d’Alain Pire, Open Slide. Le concert regroupait des œuvres anciennes et des créations. Dans ma partition, la polyphonie italienne apparaît à découvert, à peu près aux deux tiers (à la section d’or1), d’abord pour le chœur, coloré par des glissandi de cordes, puis aux trombones et tuba de l’orchestre, sous un solo un peu délirant du soliste. Quant au thème persan, on l’entend au début, cité tel quel par le trombone solo. À cela s’ajoutent évidemment de nombreux jeux d’écriture qui m’ont permis d’entremêler les deux thèmes, de les soumettre à toutes sortes de traitements traditionnels (dérivation, développement, transposition, morcellement…).
Que dire de l’écriture ?
La partition se construit sur un dialogue entre le trombone et le chœur d’hommes, mais elle est aussi parsemée de nombreux solos d’orchestre. En réalité, l’orchestre adopte lui aussi une fonction soliste, lors de flashs successifs. Les superpositions des trois acteurs sont très rares. Je fais aussi usage d’autres instruments graves de l’orchestre : le trombone basse, la clarinette basse, le tuba basse, le contrebasson, les timbales… D’autres instruments plus aigus, comme le violon et la flûte sont eux aussi exploités dans le grave, ce qui leur donne une couleur particulière. Les 11 extraits littéraires s’organisent en trois sections successives où dominent les tons badin, sombre, puis plus léger. Le Concerto comporte six sections de tempos différents, mais enchaînés sans interruption. Il n’y a pas à proprement parler de cadence (long solo) dévolue au trombone mais, comme je le disais, des flashs où il est plus exposé. Dans l’écriture du trombone et du chœur, j’ai évité d’avoir recours aux effets habituels propres à la musique contemporaine un peu conventionnelle. S’il y a des « effets », ils sont plutôt limités à l’orchestre. Comme dans Le Tracé s’envole (créé en 2011 par le Chœur de chambre de Namur, l’OPRL et Pascal Rophé), j’ai souhaité que le chœur soit assis au sein de l’orchestre, pour assurer une meilleure fusion du son. Je n'ai pas cherché une virtuosité exacerbée dans ce Concerto. Cependant, je savais que je pouvais compter sur la direction avertie de Christian Arming, qui, outre sa sensibilité « naturelle » de viennois, est aussi d’une redoutable efficacité au niveau de la mise en place d'une partition nouvelle.
1 Section d’or ou nombre d’or. Proportion géométrique idéale (0,618 ou 1,618) présente dans la nature (corps humain, règne végétal…) et reprise par certains artistes.
Propos recueillis par Éric Mairlot
Réserver en ligne