Réformation : l'interview de Christian Arming
Mendelssohn, Bloch et Ben-Haim sont au programme de Christian Arming ce vendredi 5 octobre, à 20 heures. Le directeur musical de l'OPRL évoque les œuvres de ce programme passionnant !
Vous ouvrez le concert avec une œuvre de Ben-Haim. Comment s’est effectué ce choix ?
Je n’ai jamais eu l’opportunité de diriger du Ben-Haim, tout comme l’OPRL n’a jamais joué sa musique. C’est l’occasion de faire découvrir un compositeur très original. Les Métamorphoses symphoniques sur un choral de Bach, au programme du concert, sont fascinantes, avec d’un côté un orchestre gigantesque et de l’autre des plages de musique de chambre réservées à deux ou trois musiciens tout au plus. On y sent aussi les racines de notre musique classique occidentale : Ben-Haim cite un choral de Bach, qui sert de matériau de base à l’œuvre et fait l’objet de transformations diverses. C’est pourtant bien plus qu’un simple cycle de variations. Nous sommes devant de véritables métamorphoses : Ben-Haim enchaîne des climats très différents, terriblement contrastés, qui soudain, comme au cinéma, vous font passer d’une atmosphère d’humilité à une ambiance dramatique, voire tragique, dont les couleurs me font penser à de la musique de synagogue. De tels contrastes aussi puissants me semblent rares dans la musique orchestrale. Il y a par ailleurs beaucoup de références diverses : au chant grégorien, aux tournures mélodiques de Respighi, aux structures harmoniques d’un Franz Schmidt. C’est d’une richesse inépuisable.
Vous avez enregistré Schelomo avec Gary Hoffman. Pourquoi est-il un interprète idéal de cette musique ?
Au moment de la préparation du disque, il m’a paru évident que Gary maîtrise à la perfection cette œuvre. Il m’a montré sa partition et m’a expliqué toutes les intentions musicales de Bloch, une information que vous ne trouverez dans aucun livre. Il m’a appris comment interpréter stylistiquement Bloch et révélé un tas d’informations passionnantes sur le phrasé, les dynamiques, les variations de tempos (rubato). Gary m’a également donné les clés pour comprendre la manière dont Schelomo raconte l’histoire du roi Salomon. Il a mis en lumière la très forte présence de chants des rabbins, de lamentations hébraïques si caractéristiques. Cela a été pour moi un échange passionnant.
La Symphonie « Réformation » de Mendelssohn est un manifeste à la gloire de l’Église luthérienne. Comment évoquer le protestantisme en musique ?
L’œuvre a été composée pour commémorer les 300 ans de la Confession d’Augsbourg, un des textes fondateurs de la Réforme. Même s’il provient d’une famille juive, Mendelssohn a été baptisé à l’âge de 7 ans. Depuis son plus jeune âge, il est fasciné par la musique de Jean-Sébastien Bach. Pour composer sa Symphonie « Réformation », il lui paraissait naturel d’aller puiser des thèmes dans plusieurs cantates célèbres de Bach, comme il lui emprunte une complexité contrapuntique inhabituelle dans son œuvre.
En quoi la Symphonie « Réformation » diffère-t-elle des autres symphonies de Mendelssohn ?
Le premier mouvement est unique dans la production du compositeur. Deux hommes semblent y lutter, l’un discutant de religion et de la foi, l’autre, plus sceptique, disant au premier d’une manière désespérée et musclée : « mais à quoi bon croire, c’est de la folie ». La traditionnelle forme-sonate est un cadre idéal pour opposer ces deux thèmes. Mais nulle part ailleurs, Mendelssohn ne crée une telle opposition de climats, des tensions aussi extrêmes. C’est un cas unique dans ses symphonies. Le 2e mouvement nous ramène sur terre, par son esprit de la danse et une atmosphère rappelle qui rappelle le côté primesautier du Songe d’une nuit d’été. Le 3e mouvement est caractéristique de l’époque Biedermeier (1830-1848) prônant une vie simple et bourgeoise, avec un lamento qui sonne comme du Schubert. Avec ses deux fugues et son grand choral, le dernier mouvement nous mène vers une apothéose qui nous reconnecte à Bach. Là encore, ce sera l’unique construction du genre dans l’œuvre de Mendelssohn. Et elle est magistrale !
Propos recueillis par Stéphane Dado