Rencontre avec Christian Arming

Questions à Christian Arming

Christian Arming dit tout sur le Double Concerto pour violon et violoncelle de Brahms et les Drei Walzer de Rihm, au programme de ses concerts avec l'OPRL, le 12 mai, à 20h30, au Théâtre de Namur et le 13 mai, à 16h, à la Salle Philharmonique de Liège.


Qu’est-ce qui distingue le Double concerto de Brahms de ses autres concertos ?

Pour le chef, la particularité et la difficulté principales de ce concerto sont la présence de deux solistes. Nous avons à faire à deux parties très virtuoses qui sont en constante interaction, en dialogue permanent. Je dois dès lors, avant toute chose, m’assurer que le violoniste et le violoncelliste sont sur la même longueur d’onde avant de commencer le travail d’accompagnement orchestral. Sur le plan de l’écriture symphonique, Brahms reste dans une facture similaire à celle des deux Concertos pour piano ou du Concerto pour violon. Il n’exprime jamais de sentiments exacerbés dans l’orchestre tout comme il ne tombe jamais dans le piège d’un discours purement cérébral. Sa conception est à mi-chemin, elle témoigne d’un bel équilibre entre le cœur et l’intellect. Et comme dans les autres concertos, solistes et orchestre sont dans un rapport de dialogue solidaire, loin de toute idée de conflit. L’orchestre de Brahms a la fonction d’un chœur de tragédie grecque : il commente et décrit l’atmosphère dans laquelle évoluent les solistes.

Percevez-vous des liens entre la musique de chambre de Brahms et son écriture pour ce duo soliste ?

La grande expérience de chambriste de Brahms favorise incontestablement les nombreux moments de dialogue et d’intimité entre les deux instruments. Pour moi, mais cela relève de ma propre subjectivité, je vois dans ces échanges une scène précise : un individu un peu en colère (le violoncelle) qu’un ami (le violon) tente de calmer et de consoler en lui disant : « tu verras, ça va aller, tout ira bien ! ». Il s’agit selon moi d’une véritable histoire de couple, la description de la vie entre deux partenaires. Il y a une relation très humaine entre ces deux-là.

Vous ouvrez ce concert avec Drei Walzer de Rihm. Pourquoi ce choix ?

Wolfgang Rihm est un des grands compositeurs de notre temps que je connais bien et dont j’ai fréquemment dirigé la musique. J’ai d’ailleurs joué à quatre reprises la première de ces trois valses, la Sehnsuchtswalzer, deux fois à Tokyo, une fois à Osaka et une fois avec le Symphoniker Hamburg à Hambourg. Ces trois pièces ont été composées entre 1979 et 1988. Elles sont très différentes de caractère et de style mais dans l’ensemble, on y sent le caractère de la valse viennoise vu à travers le prisme de la musique contemporaine. La démarche de Rihm est un peu similaire à celle de Ravel dans sa Valse, écrite au début du XXe siècle, mais Rihm transforme beaucoup plus les couleurs et les structures harmoniques de la valse traditionnelle. Par moments, celle-ci est totalement métamorphosée, la transformation est telle que l’on n’est plus du tout sûr de reconnaître la structure initiale.

Quelle est la particularité de chacune des trois valses ?

Dans la Sehnsuchtswalzer, on reconnaît clairement une citation tirée du quatrième mouvement de la Première Symphonie de Mahler. Dans d’autres endroits de la partition, j’ai parfois le sentiment que le matériau musical aurait pu être celui que Mahler aurait composé s’il avait eu le temps d’écrire une 11e Symphonie. Il y a une continuité et une similarité évidente avec le compositeur autrichien. La deuxième valse, intitulée Brahmsliebewalzer, est une pièce dont l’orchestration est plus sombre. Pour Rihm, la musique de Brahms a la couleur noire de la terre et les tonalités de l’automne. La Drägender Walzer finale est totalement différente. Il s’agit plus d’une valse de tradition russe que dans l’esprit de Schubert ou de Brahms. Cela sonne d’une façon plus agressive et mordante, moins élégante, et cela rappelle plutôt les univers de Prokofiev et Khatchatourian. C’est une œuvre qui fait beaucoup d’effet auprès du public.

Propos recueillis par Stéphane Dado