Rencontre avec Richard Galliano
L’accordéoniste français évoque son concert à la Salle Philharmonique de Liège avec l’organiste Thierry Escaich, le 27 octobre, à 16 heures, dans un programme tout en finesse, largement inspiré de leur disque commun « Aria »...
Dans quelles circonstances avez-vous été amené à collaborer avec Thierry Escaich ?
Par pur hasard. Nous étions tous les deux invités sur France Musique, il y a cinq ou six ans, et à la fin de l’émission, on nous a proposé d’improviser à deux, au piano et à l’accordéon. On s’est rendu compte instantanément que cela marchait bien entre nous. Par la suite, nous avons joué en concert au Printemps des Orgues d’Angers, à l’Auditorium Maurice Ravel de Lyon, dans les Philharmonie de Luxembourg et Cologne, à Saint-Étienne-du-Mont à Paris… Thierry a lui-même joué de l’accordéon quand il était jeune. C’est un instrument qu’il a beaucoup aimé pratiquer, avant de se tourner vers l’orgue et la création contemporaine. Il faut dire que ces deux instruments « à vent » sont quand même un peu cousins…
Vous allez reprendre des musiques de votre album « Aria ». S’agit-il d’improvisations ou de pièces écrites ?
Ce sont des « créations instantanées » sur des thèmes connus que nous traitons un peu comme des standards de jazz, comme deux compositeurs qui conversent librement. Le plus important est d’être en permanence à l’écoute l’un de l’autre. Tout se passe en mode « question-réponse ». On est toujours sur la « corde raide » car aucune structure n’est préétablie. Tout au plus Thierry fait-il quelques choix de jeux de son côté avant de jouer. Quand on démarre, on ne sait pas exactement où on va aller. On est donc perpétuellement aux aguets pour établir un dialogue cohérent et varié entre les deux instruments. Même si nous reprenons des thèmes déjà exploités pour le CD, le résultat au concert sera donc forcément différent de celui du CD.
Dans le disque, on est fasciné par le raffinement et la délicatesse avec laquelle les deux instruments dialoguent…
C’est vrai, Thierry a le don de créer des ambiances très contrastées, tour à tour veloutées, légères, scintillantes, ou alors parfois plus musclées, mais sans jamais couvrir l’accordéon… Ceci dit, j’ai aussi la chance de pouvoir compter sur un excellent sonorisateur, en la personne de Rémi Bourcereau. Il a un grand sens artistique et nous nous comprenons à merveille. C’est d’ailleurs lui qui réalise aussi les prises de son de mes disques. Le résultat est toujours très naturel et équilibré.
En tant qu’accordéoniste, capable de modifier très finement l’intensité du son, n’êtes-vous pas frustré par la relative inertie de l’orgue ?
Pas du tout. Dans les mains de quelqu’un comme Thierry, l’orgue devient vraiment versatile et expressif. C’est un vrai bonheur pour chacun de rebondir sur les trouvailles proposées par l’un et l’autre, tant au niveau de la mélodie que du rythme, de l’harmonie, de la dynamique… Mais vous avez raison de souligner la grande expressivité de l’accordéon, due à la possibilité d’agir directement sur le flux d’air. Quand je donne des cours d’été, comme cette année en Italie, j’insiste toujours auprès des jeunes pour qu’ils apportent un très grand soin à l’émission du son, pour que chaque note vive. En fait, le soufflet de l’accordéoniste, c’est un peu son archet ; c’est ce qui lui permet de varier le son à l’infini.
Jouerez-vous aussi du bandonéon à Liège ?
C’est possible ; cela dépend de l’organisation de mes déplacements, avant et après le concert. Je joue aussi volontiers d’autres instruments comme le mellowtone, sorte d’harmonica plus puissant, et de l’accordina, un genre de mélodica à clavier, appelé aussi accordéon à bouche ou harmonica à bouton. Il fonctionne aussi avec des anches libres mais grâce au souffle direct de l’instrumentiste. C’est un instrument monodique d’une grande expressivité.
Quelles sont vos actualités respectives ?
Je sais que Thierry collabore avec l'écrivain franco-afghan Atiq Rahimi, pour l’opéra Shirine, qui sera créé à Lyon, en mai 2020. Pour ma part, je termine un oratorio d’une quarantaine de minutes, sur le roman Les chemins noirs de René Frégni, pour accordéon, contrebasse, récitant et chœur, qui sera créé à La Seine Musicale à Paris, en janvier 2020. Mon album « The Tokyo Concert », enregistré en 2018, vient de paraître chez Jade. Quant au petit dernier, enregistré en Tchéquie avec le Prague String Quintet (à paraître en novembre 2019), il comportera des œuvres que j’ai composées sur quelques-uns des formidables thèmes que nous a laissés mon ami Michel Legrand.
Propos recueillis par Éric Mairlot