Rencontre avec Tutu Puoane
La chanteuse sud-africaine Tutu Puoane évoque Martin Luther King et le spectacle de jazz symphonique "We Have a Dream", une création au cœur des concerts de Noël de l'OPRL, les 14 et 15 décembre. L'Orchestre s'associera pour l'occasion au Brussels Jazz Orchestra.
Comment s’est construit votre parcours avec le Brussels Jazz Orchestra ?
J’ai commencé à chanter avec le BJO il y a 11 ans maintenant. L’ensemble m’a demandé si je pouvais participer au projet « Writing Billie » qui met en valeur l’art de la chanteuse de jazz américaine Billie Holiday. J’ai immédiatement accepté, ce fut une collaboration merveilleuse qui nous a donné l’occasion de concevoir d’autres projets. Ensemble, nous avons rendu hommage à la grande Nina Simone, mais aussi à ma compatriote Miriam Makeba avec le spectacle et le disque « Mama Africa ». Cela a permis un beau mariage entre les chansons ethniques xhosa/zoulou et les orchestrations de Count Basie, Duke Ellington et d’autres. Il y eut plus récemment le projet « New York City of Jazz », lors duquel j’ai interprété quelques standards du jazz américain avec, en arrière-fond, la projection sur grand écran de films et documentaires des années 30. Et enfin, ce projet « We Have a Dream » pour les 50 ans de la disparition de Martin Luther King, une autre idée du BJO.
Qu’est-ce qui vous touche dans le message de Martin Luther King ?
J’espère sincèrement que son rêve pour les droits civiques deviendra un jour une réalité dans le monde entier. C’est un idéal sans doute un peu simpliste mais qui pourrait résoudre beaucoup de problèmes sur terre. En tant que femme noire, je voudrais être systématiquement respectée pour ma personnalité, pour l’humain qui est en moi, sans que l’on fasse attention à ma couleur de peau.
Qu’ont en commun les différents protest songs au programme de « We Have a Dream » ?
À l’origine, chaque chanson présente une écriture très typée ; on ne peut pas vraiment parler de caractéristiques musicales communes. C’est sur le plan du texte que le lien s’effectue. Chaque chanson parle de l’injustice dans le monde. Il y a au départ les songs directement liés à la défense des droits des Noirs aux États-Unis (ceux de Nina Simone et Marvin Gaye). J’ai souhaité aussi intégrer une chanson de Sting, qui met en lumière les tortures sous la dictature de Pinochet, et une autre de Rod Stewart, The Killing of Georgie, qui fait état des violences commises à l’encontre des homosexuels. De tels actes ne devraient jamais exister !
Comment avez-vous sélectionné les chansons ?
Les chansons ont été choisies par le saxophoniste Frank Vaganée, le directeur artistique du BJO, et par moi-même. Chacun a fait découvrir à l’autre des morceaux qui lui semblaient représentatifs des différents combats que je viens d’évoquer. Il y avait beaucoup d’options possibles, nous avons donc dû renoncer à pas mal de chansons. Un concert avec une setlist totalement différente serait parfaitement envisageable.
Vous avez déjà créé ces chansons avec le BJO, en formation jazz band. Le passage à une version symphonique implique-t-il pour le chant des contraintes artistiques nouvelles ?
Chanter avec un orchestre symphonique est une expérience exaltante, mais je n’y vois aucune difficulté majeure. Au moment des répétitions, en fonction de ce que j’entendrai dans la salle, il se peut que mon interprétation varie légèrement. Mais ma technique de chant et ma voix resteront identiques. Si, un jour, on me proposait de chanter de la musique classique, la question de la technique vocale se poserait davantage.
Aimeriez-vous interpréter le répertoire classique ?
Oui, beaucoup ! Je prends d’ailleurs en ce moment des leçons avec un professeur de chant classique à Anvers. C’est passionnant car c’est pour moi une belle manière de tester et d’exercer ma voix. J’adore chanter en italien qui est, sur le principe, très similaire à ma langue maternelle, car vous prononcez exactement ce que vous lisez. Je rêverais de faire un jour un récital avec des airs de Verdi, Rossini, Donizetti, même si je ne connais pas encore très bien leur musique. Pour le moment je travaille une mélodie de Mozart, Ridente la calma, ainsi qu’une aria de Bellini extraite de l’opéra Adelson e Salvini : « Dopo l’oscuro nebo ». C’est un exercice merveilleux…
Êtes-vous restée en contact avec votre pays natal ?
Je n’ai jamais coupé les ponts avec l’Afrique du Sud et j’essaye d’y aller au moins une fois par an. Je suis régulièrement en contact avec ma famille et souvent invitée à y faire des concerts. Parfois, j’y organise mes propres tournées. La prochaine aura probablement lieu au mois de juillet 2019.
Propos recueillis par Stéphane Dado