Richard Wagner : "Une construction musicale fascinante et magnifique!"

Richard Wagner

Christian Arming, après le Ring sans paroles en mai 2012, vous revenez à Wagner avec ce « best of » instrumental. Pourquoi ce compositeur vous fascine-t-il autant ?

Après avoir joué le Ring sans paroles, beaucoup de musiciens de l’OPRL sont venus me demander de rejouer sa musique plus souvent. Certes, elle est techniquement très difficile, mais ils adorent la richesse de cette œuvre. Elle comprend tellement de niveaux et de strates musicales qui se combinent parfaitement. Les Leitmotive  racontent tellement de choses riches que cela donne une construction musicale fascinante et magnifique.

On connaît les positions antisémites de Wagner, également présentes en musique dans ses opéras. Peut-on faire abstraction de l’arrière-fond idéologique quand on aime cette musique ?

Nous sommes tous conscients de ce qu’a été l’histoire à partir de 1933, au moment de l’avènement d’Hitler au pouvoir. Cela nous impose d’être extrêmement vigilants, surtout à l’heure actuelle, pour éviter que ces événements ne se répètent. Mais il nous est impossible également de réduire le répertoire de Richard Strauss, de Franz Schmidt, de Carl Orff ou de Richard Wagner à de la musique du Troisième Reich. Nous courons le risque de perdre des partitions absolument géniales. Il faut surtout éviter les anachronismes avec l’œuvre de Richard Wagner et le séparer des compositeurs que je viens de citer. Il n’a rien avoir avec les idées nauséabondes du nazisme. Jamais il n’a exprimé dans ses écrits l’idée de destruction de la race juive ou de l’holocauste. Son antisémitisme est celui d’une certaine bourgeoisie du XIXe siècle, il exprime avant tout le rejet de tout ce qui est judaïque dans l’art ou la musique germaniques. Wagner n’a donc pas créé le nazisme. C’est le nazisme qui a réinterprété Wagner et confisqué son œuvre. Il faut donc être très prudent quand on évoque ces questions.

Quel travail doit être mis en œuvre pour faire sonner l’OPRL comme un véritable orchestre wagnérien ?

J’ai envie de répondre à votre question par une autre question : y a-t-il réellement un vrai son wagnérien ? Certes, nous savons que l’orchestre du Festival de Bayreuth a donné le diapason de ce que peut être le son wagnérien par excellence. Un son qui s’est forgé grâce à une architecture particulière et à la disposition en escalier des musiciens sous la scène du Théâtre de Bayreuth. Mais est-ce l’unique vérité sonore possible pour bien jouer Wagner ? En Allemagne, sans doute, parce que la plupart des musiciens qui composent l’Orchestre de Bayreuth sont de solistes provenant des grands orchestres allemands (Munich, Dresde, Francfort, Berlin). En retour, ces derniers exportent le son de Bayreuth dans leur propre ville, créant ainsi un modèle sonore emblématique. Cependant, il me semble évident que l’on peut développer d’autres manières d'entendre et de diriger la musique de Wagner. Ces alternatives restent selon moi tout aussi correctes. En quoi les Wagner d’un Toscanini à la Scala de Milan ou ceux d’un Solti avec l’Orchestre de Chicago seraient-ils moins valables ? Ce que nous faisons à Liège a donc également sa pertinence. Il ne faut pas oublier que la Salle Philharmonique a une acoustique qui lui est propre et qui ne pourra forcément jamais imiter celle du temple de Wagner à Bayreuth. J’aimerais rappeler aussi que le son de l’OPRL n’est pas seulement celui d’un orchestre français, c’est un orchestre qui a en lui des couleurs germaniques, ce qui lui donne un potentiel supplémentaire pour jouer Wagner. Ce qui est très important pour moi, afin d’atteindre une certaine vérité musicale, c’est de disposer de musiciens conscients individuellement des caractéristiques et du sens des Leitmotive qu’ils jouent. Wagner en combine parfois trois à quatre en même temps. Si les musiciens ont parfaitement compris la symbolique de ces motifs, cela permet d’avoir à l’orchestre une image sonore d’une grande lisibilité qui répond aux besoins du drame wagnérien. Cela me paraît plus essentiel en fin de compte.  

Vous dirigez la version de Dresde de l’ouverture de Tannhäuser. Pourquoi ne pas avoir choisi une autre version ?

Wagner a réalisé quatre versions différentes de cet opéra. À l’origine, il y a la version de Dresde, Wagner en était très heureux. Il fit ensuite des remaniements successifs, notamment pour Paris et Vienne. Mais à chaque fois ces remaniements l’ont laissé insatisfait. À la fin de sa vie, Wagner voulait même remanier encore une fois Tannhäuser afin d’achever la partition qui est resté dans un état de chantier permanent (work in progress). Lorsqu’il a fallu faire un choix pour le « Concert du chef », je me suis dit que le simple fait que Wagner fut pleinement satisfait de sa version originale était une raison suffisante pour diriger cette version de Dresde.

Propos recueillis par Stéphane Dado