« Une perle de mélancolie »
Christian Arming dit tout sur la Troisième Symphonie de Brahms qu'il dirige le dimanche 1er octobre à 16h, à la Salle Philharmonique de Liège, à l'occasion de la reprise de la série « Les concerts du chef ».
Est-ce un choix délibéré de terminer votre intégrale des Symphonies de Brahms par la Troisième ?
Oui, parce que c’est incontestablement la plus difficile à diriger. Contrairement à ce que l’on écrit souvent, ce n’est pas le finale, avec ses dernières mesures s’achevant sur un pianissimo, qui est me plus dur. La complexité de l’œuvre découle d’abord de ses rythmes : Brahms déplace régulièrement les accents sur le second ou le troisième temps alors que le temps fort de chaque mesure est normalement toujours sur le premier temps. Ce procédé demande toute l’attention du chef et des musiciens. Sur le plan strictement technique, la Troisième requiert aussi plus d’efforts et de virtuosité tant pour les cordes que pour les instruments à vent.
Pourquoi l’Allegro final s’achève-t-il de façon si calme ? Y voyez-vous une intention psychologique cachée.
Il est difficile de parler au nom de Brahms, et ce dernier a laissé très peu d’écrits sur cette symphonie. Quand on analyse ce dernier mouvement, on constate qu’il commence par une introduction murmurée avant une intense explosion sonore et un retour au calme. Ce retour s’accompagne d’une citation d’un thème du premier mouvement, qui est repris comme une réminiscence. On peut voir ce finale comme une passion intense qui se tempère au fil du temps et semble être transfigurée. C’est un peu la vision qu’en avait Clara Schumann, qui, dans sa correspondance, a rédigé une description très poétique des quatre mouvements.
Pourquoi le troisième mouvement est-il si célèbre (jusqu’à le retrouver dans l’œuvre de Serge Gainsbourg) ?
Ce mouvement est constitué d’un matériau relativement simple. Il s’agit d’un nocturne calme qui ne comporte, fait tout à fait exceptionnel chez Brahms, qu’un seul forte. La combinaison de la mélodie et de l’harmonie est le reflet parfait de l’état de mélancolie. Clara Schumann décrivait d’ailleurs ce mouvement comme « une perle de mélancolie ». Cet état d’âme est sans doute à la base de son succès.
Le chef d’orchestre Hans Richter, qui créa la Troisième de Brahms en 1883, surnomma cette œuvre « L’Héroïque », par association avec la Troisième Symphonie de Beethoven. Cette comparaison est-elle justifiée ?
Je ne crois pas que la comparaison tienne la route. Le premier mouvement et une partie du quatrième présentent certes des aspects héroïques. Mais pas toute la partition. Au contraire, il faudrait considérer la Troisième comme un acte de création intime qui nous plonge dans les arcanes psychologiques de Brahms.
Quand avez-vous dirigé l’œuvre pour la première fois ?
En 2000, à Ostrava, avec l’orchestre Janáček dont j’étais le directeur musical, et, tout de suite après, à Cincinnati, la même année. Je l’ai également donnée en Suisse (Lucerne), au Musikverein de Vienne. Mais c’est surtout au Japon que je l’ai dirigée le plus souvent.
Propos recueillis par Stéphane Dado