Gwenaël Mario Grisi : l'interview
En quoi consiste votre résidence à l’OPRL ?
C’est une résidence qui s’étend sur deux saisons. Elle commence en janvier 2018 et se termine en juin 2019. Cela implique pour moi la composition de quatre partitions distinctes. Il y aura d’abord, le 1er février, la création de la version intégrale de mon Concerto pour percussions « Excursions ». Puis en mars, mon Livre de la jungle verra le jour dans le cadre de L’orchestre à la portée des enfants. La saison suivante, je livrerai à l’orchestre deux œuvres concertantes.
Qu’est-ce que cette résidence vous apporte sur le plan personnel ?
Selon moi, une résidence est bien plus qu’une simple commande de partitions. Il y a tout un aspect humain. Cela me donne l’opportunité d’avoir un réel échange avec les musiciens de l’Orchestre et d’expérimenter des choses avec eux. Le fait de mieux les connaître m’aide à percevoir ce qu’ils aiment jouer et influence directement l’écriture. Une résidence, c’est aussi une vitrine sur le monde. Les partitions écrites dans ce cadre ne restent pas simplement à l’état d’écriture, elles prennent vie et sont accueillies par le public.
Votre Concerto pour percussions « Excursions » sera intégralement créé lors du Festival « L’enfant prodige ». L’OPRL avait donné les 3e et 4e mouvements lors de la Classic Academy 2016. Les deux premiers mouvements ont-ils été écrits par la suite ?
Non, ils étaient déjà terminés. Seulement, pour ne pas rendre la Classic Academy trop longue, l’Orchestre s’est limité aux deux derniers mouvements. Les quatre forment un tout cohérent : il y a des citations des deux premiers mouvements dans le dernier. En 2016, il me semblait curieux d’entendre les thèmes des mouvements initiaux alors même que le public n’y avait pas eu droit. Depuis 2016, les deux derniers mouvements ont légèrement évolué. J’ai modifié les rapports de balance entre les parties du percussionniste solo et l’orchestre mais aussi certains équilibres au sein de l’orchestre. Dans l’ensemble, il s’agit surtout de quelques ajustements.
Y a-t-il un fil conducteur entre les quatre mouvements d’Excursions ?
Clairement, il y a un propos narratif. Lorsque je compose, j’ai des images en tête. Cela provoque en moi des sensations et un ressenti à la source de toute une série d’univers. Ces univers prennent forme parfois avant ou parfois pendant le processus de composition et ce sont eux que je retranscris musicalement. En revanche, s’il y a bien un fil conducteur dans chacune de mes musiques, j’ai toujours préféré ne pas influencer l’auditeur et le laisser percevoir sa propre histoire, mettre en action son propre imaginaire. La représentation qu’un auditeur se fait dépend de son vécu personnel ; j’aime écouter ce qu’il a à me raconter après le concert. Parfois, le public peut avoir un ressenti tellement différent du mien. Cela ne fait qu’enrichir la perception de l’œuvre.
Vous considérez-vous comme un enfant prodige ?
Jean-Luc Fafchamps a déclaré un jour sur Musiq’3 qu’un compositeur était toujours jeune jusqu’à 40 ans. Dès lors, être un grand enfant de 29 ans ne me semble pas absurde. Ce qui est certain, c’est que je me sens prodigieusement passionné par mon métier et qu’à chaque fois qu’une composition nouvelle prend vie en moi, je me sens comme un enfant. Quant au « prodige », c’est au public d’en décider.
Comment avez-vous concilié les contraintes de la scolarité et votre passion pour la musique ?
Cela a été partiellement conflictuel. La scolarité était évidemment une priorité quand j’étais très jeune. Mais lorsqu’on est passionné, on finit toujours par trouver du temps pour sa passion. Il y avait une division très nette : mes journées étaient dédiées aux tâches scolaires tandis que mes soirées et mes nuits étaient consacrées à la musique. Après 18 heures, j’écoutais beaucoup d’œuvres et je lisais des partitions. À partir de 14 ans, j’allais souvent me coucher à trois heures du matin alors qu’il fallait se lever à sept heures. C’était évidemment épuisant et il m’arrivait souvent le matin, en allant à l’école, d’être très fatigué.
Quels sont les temps forts de votre jeune carrière ?
Le premier temps fort de ma carrière est un peu anecdotique. Vers l’âge de 8 ou 9 ans, mes professeurs d’académie ne comprenaient pas pourquoi je ne faisais pas de progrès en musique alors que mes parents leur assuraient que je travaillais beaucoup à la maison. Ils ont finalement réalisé que je passais l’essentiel de mon temps à composer et improviser plutôt que d’étudier le répertoire pour piano. À partir de là, j’ai été suivi par des enseignants qui ont appris à respecter cette tendance. Je n’étais plus obligé d’apprendre Bach ou Mozart, j’avais des pièces davantage orientées vers le répertoire d’aujourd’hui. Cette double prise de conscience, à la fois par l’école et par ma famille, est un moment fondamental de mon parcours. Un autre temps fort est mon passage au Conservatoire de Mons où j’ai été formé par d’excellents professeurs, à commencer par Claude Ledoux, mais aussi Jean-Luc Fafchamps, Jean-Pierre Deleuze, Denis Pousseur, Victor Kissine. Il y a eu ensuite le Prix du concours de composition Tactus, que j’ai reçu en 2011 pour ma pièce Da polvere a polvere. C’est la première fois que ma musique était interprétée par un orchestre : le Brussels Philharmonic, dirigé par Michel Tabachnik. Cette distinction m’a redonné confiance à une époque où je doutais de mes capacités de compositeur. Enfin, il y a eu la commande d’Excursions par l’OPRL et cette résidence à Liège qui prolonge l’aventure...
En 2016, vous êtes parti quelques mois en Californie. Que vous a apporté ce voyage ?
Chaque voyage est toujours l’occasion pour moi d’explorer un peu plus le monde. En Californie, j’ai découvert des lieux formidables : Hollywood, Los Angeles et ses environs. C’est une chance folle de se retrouver dans des studios de cinéma mythiques, véritables villes miniatures où la magie des multiples départements devient réalité. J’ai pu y faire quelques rencontres intéressantes et établir des contacts importants dans le milieu du cinéma. Tout cela mènera à quelques projets d’envergure que je ne peux pas dévoiler pour l’instant.
Comment essayez-vous de vous singulariser en tant que jeune compositeur dans le paysage musical actuel ?
Je dois avouer que je ne tente pas de me singulariser. Je cherche avant tout à rester moi-même. C’est déjà une forme de singularisation en soi ! Pour cela, il n’y a pas de recettes miracles...
Comment définissez-vous votre langage et votre style ?
C’est une question complexe. Mon langage et le style qui en découle changent à chacune de mes compositions car chaque pièce a une histoire différente, tributaire d’émotions spécifiques. Je n’arrive pas moi-même à dire ce qu’est mon style tant il s’adapte à la nécessité du moment et peut aussi bien verser dans l’atonalité que l’impressionnisme ou le romantisme.
Quels sont vos sources d’inspiration ?
Quand je compose, j’écris des choses qui ne sont pas complètement de moi, je ne sais pas d’où viennent ces idées mais elles procèdent d’ailleurs. Parmi les compositeurs qui m’ont inspiré, il y a Mahler et Richard Strauss. Ils m’ont fasciné avant même que je n’entre au Conservatoire. Il en va de même pour les compositeurs impressionnistes, à commencer par Debussy et Ravel, et pour ceux de l’École russe, aussi bien Rimski-Korsakov dont l’orchestration me fascine, que Stravinsky dont j’aime l’univers si particulier. La musique de films a également une énorme influence sur mon œuvre. John Williams reste une référence absolue, tant pour ses couleurs orchestrales que pour son aptitude à jouer avec les thèmes aussi bien au cinéma que dans ses œuvres concertantes et symphoniques.
En dehors de la musique, qu’est-ce qui alimente votre imagination ?
Tout peut être sujet à étincelle pour démarrer une composition. Je préfère être le plus ouvert par rapport à cela. Les voyages aident beaucoup à se forger de nouveaux univers et de nouvelles sensations, mais cela peut partir de n’importe quoi d’autre.
Écrit-on de la même manière un spectacle pour enfants comme Le Livre de la jungle et un concerto ?
Au final, oui… car j’écris toujours sur la base d’un synopsis. Pour le reste, je ne crois pas qu’il faille simplifier sa musique quand on écrit pour les enfants. Ceux-ci sont souvent plus réceptifs que les adultes aux essais de sonorités et aux expérimentations. Dès lors, je ne vois pas pourquoi je devrais changer ma manière d’écrire. Si on leur fait écouter des œuvres atonales, ils manifestent un plaisir direct, ils ressentent des émotions. Certains adultes sont beaucoup plus fermés. Je ne sais pas à quoi cela tient.
La musique du Livre de la Jungle, version Disney, fait partie de l’imaginaire collectif. Sera-t-elle présente dans votre propre musique ?
Les musiques de Disney sont présentes dans mon esprit depuis que je suis tout petit, notamment le Livre de la jungle. Ces mélodies ont une grande puissance et elles restent dans la mémoire. Je dois même admettre qu’il y a parfois dans mon univers musical un côté un peu Disney. Avec le metteur en scène, on a discuté de l’idée de reprendre l’une ou l’autre mélodie pour L’orchestre à la portée des enfants, comme la musique n’est pas encore totalement écrite. Mais ce n’est pas encore sûr. On ne peut pas faire n’importe quoi avec la musique de Disney. Pour l’instant, elle est dans un coin de ma tête.
Propos recueillis par Stéphane Dado