[INTERVIEW] Maman, je parle aux oiseaux !

chanteurs d oiseaux

Passionnés depuis l’enfance par l’imitation des chants d’oiseaux, Jean Boucault et Johnny Rasse se produisent sur les scènes du monde entier, dont celle de la Salle Philharmonique le dimanche 23 avril 2025. Ils nous racontent leur parcours.

Comment est née votre vocation de chanteurs d’oiseaux ?

Jean : Nous sommes tous les deux originaires d’un village de la baie de Somme, en Picardie. À l’âge de dix ans, revenant de l’école à pied, j’ai été survolé par un vol de goélands dont j’ai imité le cri. Et contre toute attente, les goélands ont fait demi-tour et ont « dialogué » avec moi pendant une heure. Je suis rentré émerveillé à la maison en criant : « Maman, je parle aux oiseaux ! » Ayant découvert ce don d’imitateur, j’ai voulu aussi apprendre à siffler (et pas seulement à crier !). J’ai alors suivi des cours pendant un an avec le père de Johnny, qui était berger.

Johnny : Et moi, entendant mon père enseigner à Jean comment siffler, j’ai été pris de la même envie, sans doute un peu jaloux de la connivence née entre Jean et mon père. Cette passion d’imiter les oiseaux ne nous a plus quittés et a même soudé notre amitié. Encore jeunes, nous avons remporté plusieurs prix au Concours d'imitateurs d'oiseaux du Festival de l'Oiseau et de la nature d'Abbeville. Plus tard, nous avons « rassuré » nos parents en menant des études d’ingénieur, en ce qui me concerne, et de docteur en pharmacie pour Jean, mais en gardant intacte cette passion.

Comment avez-vous rejoint la scène ?

Johnny : C’est la scène qui est venue à nous ! Nous avons été repérés par le pianiste et improvisateur Jean-François Zygel, qui nous a réunis sur scène en 2006 pour le Festival des Forêts de Compiègne. Par ailleurs, en 2016, nous avons eu l’occasion d’enregistrer un disque qui a rencontré un vif succès, chez Mirare, avec la violoniste Geneviève Laurenceau et la pianiste Shani Diluk.

Jean : À l’heure actuelle, nous avons un répertoire de plusieurs centaines d’oiseaux, que nous continuons à enrichir au gré de nos voyages partout dans le monde et de la fréquentation de sites web comme xenocanto.org, permettant d’entendre des chants d’oiseaux du monde entier. Au Japon, en quelques heures, nous avons réussi à imiter le chant de l’Uguisu, cet oiseau qui rend fous les Japonais, car c’est l’oiseau fétiche qui chante dans les cerisiers en fleurs. La salle était debout !

Les gens sont extrêmement touchés d’être ainsi reconnectés à une nature qu’ils ont perdu l’habitude d’écouter.
 

Comment s’établit le programme d’un concert et comment intervenez-vous ?

Johnny : On ne nous impose pas un répertoire mais on réfléchit très longtemps à la manière d’introduire des chants d’oiseaux dans la musique écrite. Il y a un respect à avoir vis-à-vis de la partition conçue par le compositeur. On profite des points d’orgue, d’un espace, d’une respiration… pour infiltrer des chants d’oiseaux. Certains sont tristes et mélancoliques voire plaintifs, d’autres guillerets et joyeux. La matière des chants d’oiseaux n’est pas neutre ; elle rappelle des éléments du vécu humain. C’est à nous de choisir les chants les plus appropriés aux œuvres abordées.

Jean : Je suis plus naturaliste dans mon approche, tandis que Johnny est plus artiste. Jean-François Zygel nous a d’ailleurs appris à « dénaturaliser » les chants d’oiseaux pour en faire un élément vivant, artistique. Chaque oiseau produit une matière sonore intéressante en soi. Même l’oiseau le plus effrayant, comme un vautour, peut être utilisé à bon escient. En fait, au concert, l’orchestre est un peu la « forêt » ou l’environnement naturel que nous peuplons d’habitants ailés. Aujourd’hui, en voyage, on arrive assez facilement à se faire accepter par de nouveaux environnements et à imiter de nouveaux chants. Nous sommes un peu devenus polyglottes (rire).

Comment réagit le public ? Faites-vous des émules ?

Jean : Les gens sont extrêmement touchés d’être ainsi reconnectés à une nature qu’ils ont perdu l’habitude d’écouter. La juxtaposition des chants d’oiseaux à la musique leur donne un écrin de premier choix qui ouvre les oreilles du public de manière incroyable. De plus, à notre époque où il est beaucoup question d’enjeux écologiques, nos concerts rencontrent un écho particulier. Ce n’est pas un but revendiqué mais un effet obtenu malgré nous. N’oublions pas que la population d’oiseaux est en train de s’effondrer… dans un silence assourdissant. Or, les oiseaux, par leur gamme sonore aigüe, nous reconnectent à l’univers aérien de manière magique !

Johnny : Nous donnons une centaine de concerts par an ! On n’aurait jamais cru cela possible quand nous étions jeunes. Nous avons chanté avec les orchestres de l’Oural, de Lima, de Paris, Genève, de Savoie, de Lille… Et cette discipline attire en effet beaucoup d’enfants et d’adolescents. Nous mettons sur pied des formations pour transmettre aux plus jeunes ces techniques d’imitation des chants d’oiseaux.

La juxtaposition des chants d’oiseaux à la musique ouvre les oreilles du public de manière incroyable.
 

Vous auriez dû vous produire avec l’OPRL en mars 2020 mais le Covid en a décidé autrement. Comment s’est passé votre retour à la vie active ?

Notre activité de chanteurs d’oiseaux s’est avérée assez résiliente, apte à résister au choc de la pandémie. N’ayant pas besoin de moyens techniques particuliers, nous avons pu nous produire assez vite en extérieur. En outre, durant la pandémie, le public a redécouvert les chants d’oiseaux (qui constituaient à peu près le seul « concert » disponible) et leur a accordé un intérêt renouvelé. Nous avons donc tout de suite retravaillé intensément, en extérieur puis en intérieur.

Le Covid nous a aussi permis d’écrire un livre retraçant notre enfance et notre jeunesse : Chanteurs d’oiseaux. Le fabuleux destin de deux enfants qui ont appris la langue des oiseaux. Il a été publié en 2023 à Paris, chez Les Arènes, et s’est déjà écoulé à 20.000 exemplaires. Il a été traduit en anglais et en russe, et sera bientôt adapté au cinéma. Le scénario est en voie d’achèvement.

 


En concert dans la série Dimanches en famille (6-9 ans) le dimanche 23 mars à 16h à la Salle Philharmonique 

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