L'enfant prodige selon Christian Arming
Le directeur musical de l'OPRL rappelle dans les grandes lignes l'esprit du festival annuel de l'Orchestre.
Qu’est-ce qu’un enfant prodige au XXIe siècle ?
Au regard des siècles passés, les choses ont beaucoup changé. Dans le monde de la musique classique, il me semble qu’il est plus facile de trouver aujourd’hui des enfants prodiges dans la sphère des solistes que chez les jeunes compositeurs. Pour moi, dans un genre musical tout autre, l’exemple type de l’enfant prodige est celui d’Amy Winehouse. Sa vie témoigne du foisonnement de la créativité juvénile mais aussi de tous les dangers qu’encourt un talent précoce.
Lorsque des parents exigent trop de leurs enfants, ces derniers perdent tout ce qui fait la richesse de l’enfance. Leur monde n’est plus que pratique, perfectionnement technique. Le développement humain, qui est une composante fondamentale lorsqu’on pratique la musique, est totalement perdu. Heureusement, il y a des exemples plus positifs. Je pense notamment au pianiste Lukáš Vondráček, qui a joué enfant, sous ma direction, le Concerto en ré majeur de Haydn avec l’Orchestre d’Ostrava. Il était déjà fantastique ! Après sa victoire au Concours Reine Élisabeth, l’OPRL et moi l’avons accompagné dans le 1er Concerto de Tchaïkovski à Saint-Hubert. Une soirée mémorable. Il est la preuve vivante qu’il est possible de faire carrière d’une manière saine et salutaire au-delà d’une enfance précoce.
Avez-vous été un enfant prodige ?
Certainement pas. Mes parents étaient tous les deux dans le milieu musical, la musique m’a toujours encadré. Mais mon vœu premier était de devenir astronaute et astrophysicien, et non pas musicien…
Adolescent, je chantais dans un chœur, la Mödlinger Singakademie ; j’ai aussi accompagné ce chœur au piano et m’y suis impliqué de plus en plus. Je me suis pris de passion pour les différentes responsabilités que j’endossais et cela m’a fait réfléchir. C’est à ce moment-là seulement que l’idée de devenir chef d’orchestre m’a traversé. Mais rien n’a été facile. Aujourd’hui encore, j’ai besoin de temps pour assimiler une œuvre que je ne connais pas.
Comment avez-vous choisi les œuvres au programme du Festival ?
Pratiquement, la plupart des compositeurs programmés sont des génies précoces. À commencer par Mozart, mais aussi Mendelssohn, Korngold - qui avait reçu le qualificatif de Wunderkind (enfant prodige) à Vienne –, Chostakovitch et d’autres. Après cela, j’ai tenté de réaliser un bel assortiment de répertoires, de styles, aussi bien pour le public que pour l’orchestre.
Pourquoi avoir divisé l’OPRL en deux formations lors de la Journée des prodiges ?
Il y a beaucoup d’œuvres de Mozart et de Mendelssohn au programme du Festival. Des compositeurs qui ne requièrent pas un grand orchestre. Cela permet de scinder l’OPRL en deux et d’envisager de nombreux concerts courts, plus en phase avec l’esprit d’un festival. Les deux orchestres répètent séparément et peuvent travailler des programmes différents. C’est la raison pour laquelle ce festival compte aussi deux chefs d’orchestre !
Thomas Zehetmair dirigera l’une de ces formations. Qu’est-ce qui a déterminé ce choix ?
Le choix de Thomas Zehetmair s’est imposé d’emblée, c’est une personnalité humble et un musicien extraordinaire. Comme soliste, il a effectué l’ouverture de la saison 2016-2017 de l’OPRL dans le 2e Concerto pour violon de Bartók ; le contact avec les musiciens s’était très bien passé. Ce n’est pas seulement un bon violoniste mais aussi un chef fantastique. Le festival était dès lors l’occasion rêvée de le revoir à Liège. De par son expérience comme violoniste, chef d’orchestre et fondateur du Zehetmair Quartet, le répertoire qu’il dirige au festival lui va comme un gant.
Quelles sont les qualités du Concerto pour percussions de Grisi que vous allez créer ?
Nous avons joué les deux derniers mouvements, en 2016, dans le cadre de la Classic Academy. Ce n’est donc pas une œuvre totalement nouvelle pour nous. En revanche, cette partition est une véritable démonstration de virtuosité, tant pour l’OPRL que pour le soliste Max Charue. Stylistiquement, l’écriture orchestrale présente des éléments qui relèvent de la nouvelle avant-garde. Mais il y a aussi un côté rétrospectif dans cette œuvre qui regarde vers Korngold et la musique de films hollywoodienne. À l’écoute, cela donne un kaléidoscope passionnant de styles et d’affects. La partie concertante est complexe. Le soliste a une armada d’instruments à manier, sa partition est rythmiquement difficile. Le tempo et la pulsation sont très rapides, ils ne laissent pas le temps de réfléchir et plongent le chef d’orchestre dans un état de transe.
Depuis le mois de janvier, Gwenaël Grisi est en résidence à l’OPRL. Que pensez-vous de cette initiative ?
Je suis un grand fan de Gwenaël car je considère qu’il a d’immenses capacités de compositeur. Cette foi en son talent et en son jeune âge sont d’excellentes raisons de lui ouvrir une résidence. Ainsi, le public aura la chance d’entendre différentes compositions de lui et de découvrir les diverses facettes de son style.
Aimez-vous travailler avec de très jeunes interprètes ?
Oui, j’adore ça car, avant tout, je peux les faire bénéficier de ma propre expérience. Et puis cela me permet de rester jeune, de savoir quels sont les nouveaux styles, les tendances du moment. Cela garde mon esprit frais.
Quel est l’intérêt de programmer un festival dans une saison ?
À titre personnel, j’aime les festivals, en raison de leur fil rouge qui permet d’associer des œuvres très diverses autour d’une même thématique. Certains thèmes ont la capacité de séduire des publics qui ne viennent jamais au concert classique. Le caractère événementiel et l’organisation d’un festival diffèrent d’un concert traditionnel
Propos recueillis par Stéphane Dado