[INTERVIEW] Anna Lapwood « Lorsque les gens entendent la musique d’Interstellar à l’orgue, cela leur permet d’associer l’instrument à une musique familière. Et ils adorent ! »

Anna Lapwood

Coqueluche de la jeune génération sur les réseaux sociaux, la jeune organiste britannique Anna Lapwood dépoussière allègrement l’image parfois austère de son instrument. Artiste associée au Royal Albert Hall de Londres et présentatrice sur la BBC, elle fait ses débuts, le 2 novembre, à la Salle Philharmonique dans un programme inspiré par son dernier album Luna

🎬L'interview vidéo est à retrouver en bas de page.
 

Quel a été votre parcours pour être aujourd’hui, en tant qu’organiste, une star des réseaux sociaux totalisant un million de followers ?

Oh, je n’ai jamais cherché à devenir une « star des réseaux sociaux » (rire). J’ai toujours aimé partager la réalité de la vie d’un musicien professionnel avec honnêteté, et partager la musique que j’aime le plus, qu’il s’agisse du répertoire d’orgue de base ou de transcriptions de musiques de films et d’autres choses de ce genre. Je suppose que c’est ainsi que le côté « réseaux sociaux » s’est développé. Pour ce qui est de mon parcours, j’ai d’abord étudié le piano, le violon, l’alto et surtout la harpe, puis j’ai découvert l’orgue à Oxford… et j’en suis tombée amoureuse !

Gérez-vous seule votre communication ?

Oui, je pense qu’il est très important que je le fasse moi-même parce que le but est d’être honnête et de montrer la réalité du métier. L’idée que quelqu’un d’autre puisse le faire à ma place paraît un peu effrayante, parce que je pense que le résultat serait très différent. Donc oui, j’adore m’en occuper depuis longtemps et je ne considère pas ça comme un travail.

Comment expliquez-vous le succès que l’orgue remporte à travers vous ?

C’est une bonne question car je ne suis pas la meilleure organiste au monde (loin de là, il y a tellement d’organistes phénoménaux), mais je pense que ce que les jeunes apprécient particulièrement, c’est de m’avoir suivie tout au long de mon parcours et d’avoir appris à connaître ce que j’aime dans l’instrument. Je poste souvent des vidéos, par exemple sur le fait que j’adore les sons très graves d’une anche de 32 pieds [timbre profond et puissant au pédalier, ndlr]. Au concert, ils peuvent alors imaginer ce que je ressens lorsque ce jeu imposant apparaît. Je suppose que cet élément humain facilite le contact. Vous savez, l’organiste est si souvent caché au fond de sa tribune qu’il peut parfois être difficile pour le public de sentir qu’il est vraiment en relation avec un être humain qui joue (rire).

Je pense que ce que les jeunes apprécient particulièrement, c’est de m’avoir suivie tout au long de mon parcours et d’avoir appris à connaître ce que j’aime dans l’instrument. 

Quel est votre rôle en tant qu’artiste associée au Royal Albert Hall de Londres ?

Quand je suis arrivée en 2022, l’idée était de voir ce que nous pourrions faire pour amener les jeunes à venir écouter l’orgue dans la salle. Quand on m’a dit : « Que voudriez-vous faire pour y arriver ? », j’ai répondu que j’aimerais beaucoup que tous les artistes que se produisent dans cette salle puissent intégrer l’orgue dans leurs propres concerts, quel que soit le genre pratiqué par l’artiste. C’est un rêve qui n’est pas toujours facile à réaliser mais cela m’a valu de jouer par exemple avec l’acteur Benedict Cumberbatch ou avec le groupe de Bonobo, pour la clôture de leur concert devant un public de 5000 personnes. Ce fut, sans aucun doute, le meilleur moment de ma vie jusqu'à présent... !

À Liège, vous jouerez trois extraits de la musique du film Interstellar (2014), composée par Hans Zimmer…

J’aime beaucoup cette bande originale (nommée à l’Oscar de la meilleure musique de film), en partie parce qu’elle utilise l’orgue d’une manière vraiment séduisante. On n’y entend pas seulement le côté puissant et stéréotypé, mais aussi le côté doux, beau et délicat de l’orgue. J’en ai réalisé une transcription car c’est un moyen très intéressant d’attirer un public différent. Lorsque les gens l’entendent à l’orgue, cela leur permet d’associer l’instrument à une musique familière. Et ils adorent ! C’est tellement grisant cette manière de faire monter la tension par la répétition ; cela crée une atmosphère incroyable. 

Qu’est-ce qui vous attire dans la démarche de la transcription ?

Je pense qu’étant venue à l’orgue plus tard, après avoir joué d’autres instruments (notamment de la harpe au sein de l’Orchestre National des Jeunes de Grande-Bretagne), il y a beaucoup de musiques qui m’ont vraiment manqué quand j’ai commencé à jouer de l’orgue. En écrivant des versions pour orgue de ces pièces qui me manquaient, je me suis sentie plus proche d’elles. Je pense que c’est aussi une façon amusante d’interpréter certains titres connus comme un Nocturne de Chopin ou l’Ave Maria de Bach/Gounod. Et lorsque les gens voient que vos pieds font entendre un thème aigu au pédalier, ils sont toujours un peu surpris car ils pensent que les pieds ne jouent jamais que des notes graves. Je trouve donc que c’est un bon moyen de montrer ce que l’orgue peut faire.

On retrouve aussi votre souci de mettre en valeur la musique des femmes compositrices…

Il y a quelques années, je me suis rendu compte avec stupeur que mes programmes ne comportaient que des compositeurs masculins (rire). J’ai alors commencé à chercher avec avidité toutes les pièces de compositrices pour orgue que je pouvais trouver. J’ai découvert ainsi que l’Américaine Florence Price (1887-1953) avait écrit cinq volumes de musique pour orgue, restés longtemps inédits. Et pourtant, c’est une musique incroyable qui mérite d’être diffusée. J’essaie donc d’utiliser mon profil pour faire connaître cette musique à un public plus large, dans l’espoir que d’autres organistes l’intègrent à leur répertoire. Par ailleurs, j’encourage aussi la création et l’édition d’œuvres nouvelles de jeunes compositrices actuelles comme Kristina Arakelyan, Olivia Belli et Cecilia McDowall.

Votre récital comprendra aussi trois « tubes » du répertoire français du XXe siècle.

Ce sont des pièces que j’adore et qui offrent un excellent prolongement à la musique de film que le public vient généralement entendre. Qu’il s’agisse des Litanies d’Alain, des Naïades de Vierne ou du Prélude et fugue sur le nom d’Alain de Duruflé, toutes ces pièces proposent un élément narratif qui est très important dans tous mes programmes. On y retrouve aussi des procédés musicaux qui créent du suspense et de la tension, en particulier dans le grand crescendo final de la pièce de Duruflé, qui est pour moi un moment extraordinaire tant pour le public que pour l’interprète.
 

L'interview vidéo d'Anna Lapwood :


Propos recueillis par Éric Mairlot

 



Anna Lapwood sera en récital à la Salle Philharmonique de Liège le samedi 2/11 à 20h

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