« Le plus important, c’est l’écoute ! » : L'interview de Paul Stavridis
Second soliste du pupitre de violoncelles, le musicien évoque le programme du concert « 100 % Franz » à découvrir le 9 avril, dans le cadre des Happy Hour !
Quelle est l’origine de votre projet « 100% Franz » ?
Tout est parti de l’envie de jouer le Quintette « La Truite » de Schubert, composé pour un effectif assez rare : violon, alto, violoncelle, contrebasse et piano. Zhaoyang Chang a réuni un groupe de collègues de l’Orchestre autour de cette première idée. De là, nous avons cherché des œuvres pour la même formation et nous avons trouvé un quintette de Franz Limmer, écrit 15 ans plus tard (1834) et qui comporte un mouvement en forme de variations, tout comme La Truite. L’œuvre de Limmer est de style plus brahmsien, très romantique, tandis que le Quintette de Schubert se caractérise surtout par sa fraicheur et une grande légèreté.
Comme les Happy Hour ! cherchent à privilégier la variété et les découvertes, nous avons constitué le reste du programme avec les cinq mêmes musiciens, en duo (comme pour Rêve d’amour de Franz Liszt) ou en trio. Le prénom Franz (et ses dérivés !) est devenu le fil conducteur de notre concert. Nous avons aussi élargi la ligne du temps en allant chercher Franz Joseph Haydn, compositeur que j’affectionne particulièrement. Ses trios pour baryton sont rarement joués et pourtant merveilleusement écrits. Le baryton est un instrument à cordes, cousin de la viole de gambe. Il existe de nombreuses transcriptions des pièces que Haydn a composées pour cet instrument (plus de 120 trios !) et qui valent vraiment la peine d’être mises à l’honneur.
Vous êtes violoncelliste à l’OPRL, mais vous vous consacrez aussi activement à la musique de chambre ?
En effet, je suis membre du Mosa Trio, fondé en 2010 avec mon épouse, la violoniste Alexandra Van Beveren, et le pianiste Bram de Vree. Je participe aussi régulièrement à des concerts Happy Hour ! où nous constituons des formations éphémères, avec les collègues de l’OPRL : un tour d’horizon du répertoire polonais, un projet « Belle Époque », un concert « Happy Offenbach » ou encore l’anniversaire Jongen au printemps 2023. J’aime beaucoup partager la scène avec des musiciens différents.
Quelles sont les spécificités de la pratique de la musique de chambre ?
Nous arrivons chacun avec des idées, des influences, des « écoles » différentes. Chaque musicien se prépare à la maison et arrive aux répétitions avec quelque chose qui n’appartient qu’à lui seul. Lors de la première répétition, il y a toujours une confrontation d’opinions différentes, et c’est une grande richesse : cet échange permet de ne pas rester figé sur ses propres interprétations. Cela peut arriver que le groupe fasse un choix contraire à mes opinions de départ, mais de cet échange nait toujours quelque chose d’enrichissant.
Comment décider de l’optique à prendre ? S’agit-il de chercher un compromis ou de trancher en faveur des propositions de l’un ou de l’autre ?
Si l’on ne fait que mettre de l’eau dans son vin, le résultat n’aura plus le goût du vin ! Il vaut mieux trouver un vin qui plaise à tout le monde. Nous tranchons en faveur de l’une ou l’autre proposition. C’est un art de la communication, très différent de la pratique du grand orchestre, où c’est en définitive le chef d’orchestre qui décide.
Plus le groupe est grand, plus il est difficile de donner la parole à tous ou de faire des choix. Les décisions sont aussi plus lentes avec des formations qui ont moins l’habitude de jouer ensemble (avec mon trio, c’est devenu très facile et rapide de trouver une voix commune). Il peut alors arriver que le premier violon prenne le leadership, ou le musicien qui a un passage soliste, par exemple. Cela peut aussi être utile d’avoir des oreilles qui écoutent les équilibres « de l’extérieur » et qui peuvent offrir un retour direct, comme le ferait un enregistreur. On est parfois surpris de la différence entre ce que l’on croit faire, et la réalité de ce qui sort…
Ce travail vous est-il utile pour votre pratique au sein du grand orchestre ?
Bien sûr ! En fait, le plus important, c’est l’écoute. écouter, c’est la moitié de notre boulot, peut-être même plus. C’est là que tout se joue. Un musicien qui réussit un concours d’orchestre possède un tel niveau qu’il sait forcément tout jouer. La suite consiste à apprendre à jouer ensemble, et cela peut demander beaucoup d’efforts ! Ce n’est pas toujours facile, surtout si on est fatigué. On pourrait être tenté de passer « en mode automatique », mais non : il faut toujours s’écouter. Mon expérience de chambriste me nourrit aussi dans mon travail à l’orchestre parce qu’elle me rappelle que chaque voix est importante. Elle m’incite à chercher des idées, surtout dans le répertoire plus ancien où les partitions renseignent peu d’éléments d’interprétation.