L’interview de Christian Arming
Le 21 février, l’ancien Directeur musical de l’OPRL retrouve son orchestre dans trois œuvres maîtresses de Smetana, Lindberg et Rachmaninov ! Il nous dit tout sur ce programme.
Vous dirigez pour la première fois avec l’OPRL les Danses symphoniques de Rachmaninov, son ultime chef-d’œuvre orchestral. Créée aux États-Unis, en janvier 1941, cette œuvre est-elle pour autant de la musique américaine ?
Même si la partition a été dédiée à Eugene Ormandy et « son » Orchestre de Philadelphie que Rachmaninov tenait pour le « meilleur au monde », l’œuvre n’est pas du tout pensée dans un esprit américain. Elle diffère en cela de la Symphonie « du Nouveau Monde » de Dvořák qui s’inspire comme on le sait de thèmes indiens ou afro-américains. Rachmaninov reste totalement fidèle à ses racines russes, avec des mélodies inspirées de la liturgie orthodoxe et même une citation de sa Première Symphonie à la fin de la première danse.
Ces Danses égalent-elles les œuvres les plus connues du compositeur ?
L’écriture y est plus « instrumentale » que dans les Symphonies, les Concertos pour piano ou L’île des morts, où le caractère mélodique et chantant (ce que l’on appelle le cantabile) est plus immédiat. C’est sans doute la raison pour laquelle l’œuvre eut peu de succès à sa création. Pourtant, ce n’est pas du tout une musique difficile à écouter. Si vous ne l’avez jamais entendue, vous la trouverez compréhensible et séduisante dès la première écoute.
Initialement, l’œuvre comportait un semblant de programme…
Dans ses notes d’intention, Rachmaninov envisage ce cycle comme un bilan de ses pensées musicales. Il associe chaque mouvement à des étapes de la condition humaine : les titres (provisoires) qu’il leur donne suggèrent, par métaphore, trois étapes de la vie : la naissance (« Jour »), l’âge adulte (« Crépuscule ») et la vieillesse ou la mort (« Minuit »), avec le retour justifié du Dies Irae dans ce dernier mouvement. Finalement, Rachmaninov renonça à tout programme pour laisser parler l’esprit de la danse. Certains musicologues ont même évoqué l’idée que Rachmaninov destinait ces trois mouvements à un ballet qu’aurait pu chorégraphier le grand Michel Fokine, ce qui, en soi, n’a rien d’impossible.
Comment se différencient les trois Danses ?
Le premier mouvement ne se réfère pas à la danse directement même si on peut aisément danser dessus. Il présente une simple structure A/B/A et une métrique très « motorique ». Le deuxième est une valse très éloignée de l’atmosphère joyeuse des valses viennoises de Johann Strauss. L’esprit est ici profondément russe avec un mélange de mélancolie et de grotesque, un peu comme dans La Valse de Ravel. On y trouve le même sentiment de fin du monde, cette même tension qui précède l’anéantissement. En plus, les modulations y sont très étranges, les choix de cadences troubles et ambigus ; le tout finit d’ailleurs de manière incertaine sur un accord dont on ne sait pas s’il est en mode majeur ou mineur. Le troisième mouvement a pour moi des accents rythmiques curieusement proches d’une danse espagnole, d’un fandango par exemple ; il me rappelle l’Alborada del gracioso de Ravel ou la musique d’Albéniz.
Votre enregistrement du Concerto pour clarinette de Lindberg avec Jean-Luc Votano et l’OPRL a reçu un Diapason d’or de l’année 2019. Comment expliquer ce succès ?
Pour moi, ce concerto est un chef-d’œuvre. Au-delà du fait qu’il s’agit d’une des partitions pour clarinette les plus difficiles et les plus virtuoses du répertoire, cette musique nous plonge dès les premières mesures dans les merveilleux paysages de la Scandinavie, un peu comme les Symphonies de Sibelius. L’écriture est très instrumentale mais elle donne à entendre des mélodies immédiatement mémorisables, récurrentes, et sans trop sonner comme de la musique contemporaine. L’orchestration est imposante et le travail rythmique exigeant car Lindberg a une manière très personnelle de noter ses rythmes selon des schémas et des relations mathématiques complexes. Du début à la fin, le chef doit parvenir à conserver les proportions rythmiques de la partition sous peine de perdre la pulsation et de voir l’édifice musical s’effondrer.
Pourquoi avoir choisi La Moldau de Smetana en début de concert ?
D’abord parce qu’il s’agit d’un des « tubes » du répertoire classique. C’est une musique que j’adore et que j’ai eu l’occasion de jouer souvent avec mon orchestre d’Ostrava. Cela me rappelle mes années en Tchéquie (1995-2002). Ensuite, je voulais une pièce courte en relation avec l’idée de la nature, en écho au Concerto de Lindberg. La Moldau est la plus longue rivière de la République tchèque, elle coule devant le château de Prague. Enfin, Smetana, Lindberg et Rachmaninov ont écrit trois pièces dont l’arrière-fond reste imprégné par l’idée d’école nationale. C’est un fil rouge qui traverse tout le concert.
Après huit ans de direction musicale, vous revenez à l’OPRL comme chef invité. Est-ce que cela change votre relation avec les musiciens ?
Je vois cela avant tout comme un retour dans mon ancienne « famille » musicale. Mais sans les contraintes, le poids administratif, les à-côtés de la fonction de Directeur musical. J’ai naturellement la responsabilité de réussir le concert, mais je me sens libre de tout le reste. Du coup c’est très agréable et relax !
Quels sont vos projets dans les mois qui viennent ?
Dans un futur proche, je dirigerai essentiellement de l’opéra. Juste après mes concerts avec l’OPRL, je me rends en mars à Kyoto et Tokyo pour une nouvelle production de Die Fledermaus (Johann Strauss fils). Après cela, une nouvelle production d’Ariane à Naxos (Richard Strauss) m’attend en avril à l’Opéra de Montpellier. Enfin, cet été je retourne à l’Aspen Music Festival and School dans le magnifique État du Colorado. J’en profiterai pour faire de la natation, du vélo ou de la randonnée et d’autres activités de plein air.
Propos recueillis par Stéphane Dado
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