Happy Hour 100 % Brahms : l'Interview d’Olivier Vanderschaeghe

Quatuor Ardente

Le mardi 7 juillet, à 19h, le Quatuor Ardente met à l'honneur, avec quelques comparses, la musique de chambre de Brahms. Tour d'horizon du répertoire avec le violoncelliste de l'ensemble.

 

D’où est venue l’idée d’un concert « 100 % Brahms » ?

Chaque saison, les « Happy Hour ! » proposent un concert consacré exclusivement à un compositeur. Nous projetions justement, avec le Quatuor Ardente, de travailler le Quintette à cordes n° 2 de Brahms (avec l’ajout d’un deuxième alto à notre formation initiale). Nous avons donc imaginé un programme Brahms autour de ce quintette, les autres œuvres étant choisies de manière à varier au maximum les effectifs. Nous verrons aussi en quoi toutes ces œuvres, qui s’étalent sur plusieurs décennies, nous racontent quelque chose sur Brahms.

Que voulez-vous dire par là ?

Cela peut être intéressant de voir comment un compositeur a pu être influencé par son passé, son histoire familiale, ses rencontres… Par exemple, le motif hongrois que l’on entend dans l’Andante du Trio avec piano n° 2 est lié indirectement à la rencontre de Brahms avec un musicien tzigane (Eduard Reményi) – ce qui donnera aussi naissance à ses Danses hongroises. Le Trio avec cor, lui, a été composé après la mort de sa mère. Brahms note le mouvement lent « Adagio mesto », c’est-à-dire « triste ». Il écrit aussi une version où le cor est remplacé par le violoncelle ; or, ce sont deux instruments qu’il a pratiqués dans sa jeunesse… La version que nous jouerons est de sa main aussi ; l’alto a remplacé le cor. Autre exemple, le troisième Quatuor avec piano, qui est lié à sa relation avec Clara Schumann. Elle a énormément compté pour Brahms et elle avait joué la partie de piano lors de la création du Quatuor n° 2.

La clarinette aussi occupe une place particulière dans la musique de chambre de Brahms.

Oui, et c’est de nouveau lié à une rencontre ; à la fin de sa vie, Brahms se lie d’amitié avec le clarinettiste Richard Mühlfeld et cela relance son activité de compositeur de musique de chambre, dont il comptait s’éloigner. Juste avant cela, pour composer le Quintette à cordes, Brahms hésite énormément, il brûle ses esquisses, les retravaille, et livre une œuvre très orchestrale, par exemple dans la densité de l’accompagnement lors du magnifique solo de violoncelle. Les esquisses portaient d’ailleurs, au départ, le titre de « Cinquième symphonie »...

Ce concert ne propose aucune œuvre jouée par le Quatuor Ardente dans sa formation de base. Un choix délibéré ?

Oui, parce que nous souhaitions sortir du quatuor à cordes traditionnel, qui est la formation de musique de chambre la plus classique et « incontournable », pour laquelle un répertoire très important a été composé. Ici, nous montrerons la variété de formations pour lesquelles Brahms a écrit. De plus, les Quatuors à cordes de Brahms, qui sont extrêmement abstraits, ne sont pas encore à notre répertoire ; nous avons tous les quatre le sentiment de devoir encore attendre, d’être plus expérimentés ou plus sages…

Autour du Quatuor Ardente, trois musiciens invités, tous membres de l’OPRL…

Notre deuxième alto pour cette soirée, Violaine Miller, s’imposait comme une évidence ; elle a déjà joué au sein du Quatuor Ardente en remplacement de Sarah lors de son congé de maternité. Et c’est elle, au sein du comité de musiciens qui organise les « Happy Hour ! », qui a élaboré le projet avec nous. Aude Miller, notre second violon, forme un duo avec Geoffrey Baptiste, et nous-mêmes nous le croisons très souvent, notamment à l’Orchestre. Enfin, Lorenzo de Virgiliis est entré depuis peu à l’OPRL, mais il était très enthousiaste lorsque nous lui avons proposé de jouer le Quintette avec nous ! Il aurait même voulu jouer l’œuvre intégrale (rires).

Quelles sont les clés pour travailler ce genre de musique ?

Tout d’abord, la dimension orchestrale. Nous sommes tous musiciens d’orchestre, et nous avons la chance, au sein de l’OPRL, de travailler Brahms avec des chefs qui ont chacun leur vision de cette musique. Ils sont parfois très différents, mais néanmoins, il y a un certain consensus sur ce qu’on pourrait appeler « le style Brahms » : une musique dense, un son très allemand, bien éloigné de la musique française. Tout cela s’accorde d’ailleurs assez bien avec le personnage, décrit comme un homme philosophe, solitaire, qui se promène le ventre proéminent et le cigare en bouche. Et sa musique est comme ça, que ce soit dans le style, les accentuations, les articulations bien définies.

Cela veut-il dire que sa musique est « lourde » ?

C’est là qu’intervient la deuxième dimension dans le travail : le son doit être dense, mais il faut lui donner du relief, créer des plans sonores, étager tout cela et faire vivre les différentes voix. C’est le cœur du travail, après avoir étudié les phrasés et les jeux d’accentuations souvent inhabituels dont Brahms était coutumier. Et puis, il nous reste aussi une part de liberté, car Brahms n’a pas laissé énormément d’indications d’interprétation ; pour une même phrase musicale, il nous arrive de discuter pendant un quart d’heure et d’essayer tout autre chose la fois suivante… Le choix peut alors se baser sur un élément musical lié à l’harmonie, à l’instrumentation…  On fait des compromis, on essaie, et une fois qu’une décision est prise, on en assume la logique et les conséquences pour tout le mouvement.

Votre vie de musiciens d’orchestre influence-t-elle votre travail en musique de chambre ?

Oui bien sûr, notamment l’expérience stylistique laissée par le travail avec tel ou tel chef… En ce qui concerne Brahms, certains d’entre nous l’ont travaillé avec Louis Langrée, notamment lors de festivals en 2007 et 2008, d’une manière qui insistait notamment sur les tenues de notes, les accentuations, les phrasés ; avec Christian Arming, l’Orchestre a travaillé Brahms dans l’héritage direct de la tradition allemande et des grands chefs qui l’ont côtoyé. Tout cela nous reste, et souvent, pendant une répétition, il nous arrive de dire : « si on veut faire comme untel, ce sera comme ceci… » ou « untel demandait ceci ou cela ».

Est-ce qu’il est fréquent de fonder un quatuor à cordes totalement issu d’un même orchestre ?

Je n’en connais pas beaucoup, même si ce fut l’usage, à une époque, de créer des quatuors regroupant les chefs de pupitre d’un orchestre. Notre choix est de nous épanouir et de continuer à progresser aussi en musique de chambre, en parallèle à l’Orchestre. Ce n’est pas toujours un choix évident (le quatuor à cordes demande un travail très spécifique et parfois totalement exclusif), mais nous avons l’avantage d’avoir les mêmes horaires (rires).

Quels sont vos prochains projets ?

Nous nous plongerons notamment dans la musique de chambre de Joseph Jongen grâce à une collaboration sur deux saisons avec le Centre culturel de Saint-Trond, dans la magnifique Salle académique.

Propos recueillis par Séverine Meers

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