Aline Sam-Giao : « J’essaie de comprendre où va le monde et où nous devons aller avec lui. »

Aline Sam-Giao, nouvelle directrice de l'OPRL

La nouvelle Directrice générale de l’OPRL a pris ses fonctions le 1er septembre. Elle nous en dit plus sur son parcours et ses objectifs.

 

Pourquoi avoir choisi Liège comme nouvelle étape de votre parcours ?

Après 20 ans de vie professionnelle en France, je souhaitais renouer avec des expériences à l’étranger, dont j’avais beaucoup apprécié la richesse et l’ouverture au début de ma carrière. Le poste ouvert à l’OPRL m’offrait une opportunité de direction d’un orchestre mais aussi d’une salle, ce dont j’avais déjà fait l’expérience très positive à Lyon. La qualité et le renom de l’OPRL, son dynamisme, sa bonne situation générale, et une évidente promesse de développement futur, m’ont donné envie. Je suis enthousiaste de nature : j’ai senti ici la vie et le mouvement, artistiquement et dans la relation aux publics.

Que connaissiez-vous de Liège avant de vous y installer ?

Assez peu de choses ! C’est un territoire vierge pour moi, mais j’avais entendu parler de son université et j’avais déjà découvert avec délice le sirop de Liège ! J’ai été tentée par cette immersion dans une ville que je ne connaissais pas. J’aurais pu chercher un poste vers les pays anglophones ou nordiques, où l’anglais est très implanté ; les circonstances m’ont plutôt orientée vers la Belgique, dont j’apprécie aussi le côté très multiculturel. C’est important pour moi d’être au cœur de l’Europe, d’y sentir une unité car je me sens citoyenne européenne, et paradoxalement, de constater à quel point cette nation est multiculturelle. Par exemple, accompagner l’OPRL à Saint-Vith où tout le monde parle allemand, à 45 minutes de Liège, c’est une richesse culturelle fantastique et un vrai dépaysement !

Quelles sont vos premières impressions ?

C’est une ville qu’il faut apprivoiser : les travaux, mais aussi la cohabitation architecturale d’époques et de styles disparates, peuvent être déroutants au premier abord. Il y a des beautés cachées, des espaces verts qui se dévoilent, comme la montagne de Bueren où je me suis retrouvée au hasard d’une promenade… Je comprends la lassitude due à la durée des travaux du tram, mais pour moi qui viens d’arriver, c’est surtout une promesse de vitalité pour la ville. Je pense que cela va lui donner une physionomie différente, changer les modes de fonctionnement… Je roule beaucoup en vélo et la situation est encore un peu… chaotique (les pavés ! et des sites propres parfois manquants), mais le tram va mener vers la mobilité douce, les aménagements en sites propres, etc. C’est une opportunité.

Mon moteur, c’est qu’il y ait encore un orchestre dans 30 ou 40 ans, et un public pour cet orchestre. Il faut que les orchestres symphoniques soient en relation avec leur temps et avec les attentes des publics vis-à-vis de la musique, de l’expérience du spectacle, et de leur environnement.

Vous êtes la première femme à diriger l’OPRL, grande maison de 125 employés dont près de 100 artistes. Un challenge ?

J’ai toujours été intéressée par les postes liés à la stratégie et aux budgets : avec les chiffres, on peut avoir une vision plus approfondie et stratégique des projets et de leur mise en œuvre. J’ai occupé assez jeune des postes à responsabilité, d’abord dans de plus petites structures. Avec une grande structure, le rôle de représentation devient plus important, une forme d’incarnation de la maison, que ce soit en externe ou en interne. Ce n’est pas simple d’assumer seule un tel poste, de franchir ce pas. Il y a des freins très importants quand on est une femme, certains obstacles qu’on s’impose parfois soi-même, aussi. Il y a un travail à faire sur soi, se convaincre qu’on est capable et qu’on est légitime. Mon expérience réussie à L’AO (L’Auditorium – Orchestre national de Lyon) a levé cette barrière : j’arrive dans une fonction que je connais, mais avec la curiosité de découvrir un contexte que je ne connais pas et qu’il faut que j’appréhende.

Quelles sont vos envies pour Liège et pour son orchestre ?

Mon moteur, c’est qu’il y ait encore un orchestre dans 30 ou 40 ans, et un public pour cet orchestre. Il faut que les orchestres symphoniques soient en relation avec leur temps, notre XXIe siècle, et avec les attentes des publics vis-à-vis de la musique, de l’expérience du spectacle, et de leur environnement. Nous devons comprendre notre environnement géographique, nous y intégrer en tant qu’acteur culturel mais aussi en tant qu’institution citoyenne à part entière : entrer dans les enjeux de politique urbanistique, touristique, d’éducation, de valorisation économique…

Ces objectifs sont déjà largement atteints par l’OPRL : il touche un public varié, qui n’a jamais été aussi nombreux. Nous devons poursuivre cette dynamique, continuer à nous renouveler, rester attractifs dans nos choix de répertoires et de formats, nourrir cette relation. C’est pour moi la priorité n° 1. Autre priorité : cultiver les outils qui contribuent à la renommée de l’Orchestre, notamment grâce à la présence audiovisuelle, aux tournées, au travail du Directeur musical. Enfin, je dois assurer la pérennité des financements publics, évidemment primordiaux, et développer les financements privés (partenariats avec des entreprises, des cercles de donateurs, ainsi que les Amis de l’Orchestre, qui peuvent aussi nous offrir des opportunités de développement).

Que souhaitez-vous offrir aux publics de la Salle Philharmonique et de l’Orchestre ?

C’est important d’ouvrir beaucoup de portes différentes, afin que tous les publics aient envie de passer le seuil de la salle, mais aussi de voir l’Orchestre dans d’autres lieux. Notre force, pour cela, c’est la diversité de la programmation : à côté du symphonique classique, nous pouvons croiser les arts (comme le fait la série OPRL+), démultiplier les formats, les horaires, soigner la qualité d’accueil, la clarté de la communication, le confort (à ce titre, je salue la rénovation de l’accueil, et du Foyer, un magnifique travail de design très soigné, moderne et classieux). Tout cela contribue à rendre la sortie au concert la plus agréable possible pour le spectateur. Il y a aussi un lien à créer et à nourrir avec les hommes et les femmes qui constituent l’équipe, notamment les musiciens. Le projet du collectif HOP est exemplaire à ce titre ; on peut aussi imaginer des après-concerts avec les chefs, les solistes, des musiciens de l’orchestre, etc.

(c) Anthony Dehez 2023
© Anthony Dehez 2023

 

« Vivre dans son temps » : un mot-clé pour l’OPRL mais aussi pour vous-même ?

J’arrive à Liège avec ma fille de 10 ans et demi et cela me permet d’être plus rapidement implantée dans la ville en découvrant sa scolarisation, son club et ses compétitions de natation, les mouvements de jeunesse… J’ai aussi deux grands enfants de 18 et 20 ans, qui me transmettent leurs modes de communication, leurs centres d’intérêt… C’est une vision, même partielle, de ce que sont les jeunes d’aujourd’hui. J’essaie d’être curieuse des tendances, de bouger, de sortir de la ville et du pays, de rencontrer des professionnels du métier… Je veux aussi me tenir au courant de l’actualité politique, pour comprendre où va le monde et où nous devons aller avec lui.

Allier modernité et tradition : un thème qui vous parle ?

Oui, et qui me questionne beaucoup. J’ai animé récemment une conférence en Pologne dont le thème était : « où placer la limite entre les canons traditionnels et les innovations, de façon à conserver ce qui fait l’orchestre, tout en l’adaptant à son avenir ? ». Nous avons la chance de bénéficier d’un patrimoine musical exceptionnel ; il faut l’entretenir, même si cela coûte cher et nécessite une centaine de musiciens. Nous pouvons aussi trouver la modernité dans les répertoires, jouer la musique d’aujourd’hui, valoriser les compositrices d’aujourd’hui (celles du passé ont été largement invisibilisées !). Nous devons aussi nous demander où est la place d’un orchestre : à quel moment il est vraiment lui-même, avec sa « valeur ajoutée », et à quels moments il ne l’est plus et il doit laisser à d’autres le soin de faire les choses. Ce sont de vastes questions et je compte beaucoup sur la richesse des débats au sein des équipes de l’OPRL (programmation, direction, communication et marketing) pour les alimenter, ensemble avec les musiciens et les musiciennes. Et pourquoi pas… rester un peu en avance sur les autres.

Quel est votre regard sur les nouvelles technologies, le développement numérique et leur impact sur l’avenir de l’Orchestre ?

J’ai évoqué, dans une interview à L’Echo en septembre, un projet dont j’avais entendu parler de création dans le métavers, sur Les Ruines d’Athènes de Beethoven. Cela a fait sourire l’équipe ! Je trouve intéressant d’explorer comment le spectacle vivant, avec du public en salle, peut avoir des déclinaisons dans la réalité virtuelle. Utiliser l’Intelligence artificielle sans que cela devienne artificiel, justement. Même si certains publics restent éloignés du numérique, je crois que le Covid a poussé beaucoup de monde à s’adapter. La communication numérique s’est développée, pour mieux promouvoir les concerts en salle, mais aussi pour créer des formes hybrides. Bien sûr, je suis persuadée de la magie unique et irremplaçable de se trouver en présence des artistes. Mais il faut aussi se demander comment on peut inviter le public à venir dans la salle pour les découvrir ; parfois, c’est en utilisant des moyens qui lui parlent, avec une proposition de qualité, même si cela peut sembler « gadget ». Aujourd’hui, le smartphone est partout, dans toutes les vies. On peut imaginer de l’utiliser à bon escient, avec pour objectif de faire vivre… la musique vivante.

 

Propos recueillis par Séverine Meers

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