MITTELEUROPA : « Cela a beaucoup de sens à nos yeux de choisir des œuvres qui montrent combien les arts nous réunissent.. »
Arrangeur, cofondateur et codirecteur avec Arnaud Thorette de l’Ensemble Contraste, Johan Farjot nous explique ce qui a présidé à l’élaboration du programme Happy Hour ! : Mitteleuropa, du mardi 16 janvier, à 19 heures.
Pourquoi parler de Mitteleuropa ?
Ce programme fait la part belle à des compositeurs des XIXe et XXe siècles qui ont intégré des traditions orales d’Europe centrale dans leur œuvres, qu’il s’agisse de traditions klezmer ou tziganes. En ces temps troublés, cela a beaucoup de sens à nos yeux de choisir des œuvres qui montrent combien les arts nous réunissent. Le XXe siècle, avec son cortège de guerres et de génocides, à une échelle tristement « industrielle », a profondément marqué les compositeurs qui figurent dans notre programme, qui ont voulu se tourner vers des modes d’expression intemporels et rassembleurs.
Vous y abordez les questions de mobilité…
Tout le programme est traversé par la notion d’exil choisi ou contraint, tout d’abord avec Morenika, une mélodie en langue ladino (le parler espagnol des Juifs séfarades d’Espagne et de leurs descendants) qui porte la trace de l’exode des Juifs chassés par l’Inquisition espagnole au Moyen Âge. Mais aussi avec le compositeur suisse Ernest Bloch, contraint de s’exiler aux États-Unis, et qui chante le déchirement de l’exil dans From Jewish Life.
Avec aussi une ouverture à l’interculturalité…
D’autres compositeurs n’étaient pas juifs mais ont laissé des œuvres directement influencées par certaines traditions ancestrales, qu’il s’agisse de Ravel, qui signe Deux mélodies hébraïques, ou de Prokofiev qui compose son Ouverture sur des thèmes juifs à la demande d’amis musiciens russes émigrés aux États-Unis. Souvenons-nous à ce titre de l’exemplarité humaniste de Maurice Ravel qui, dans sa réponse (alors qu’il était mobilisé au Front !) à la Ligue nationale pour la défense de la musique française en 1916, refusait de soutenir l’idée que l’art musical devrait avoir un rôle limité à la promotion d’un patriotisme qui bannit les œuvres émanant de pays « ennemis » : « Il m’importe peu que M. Schönberg, par exemple, soit de nationalité autrichienne. Il n’en est pas moins un musicien de haute valeur, dont les recherches pleines d’intérêt ont eu une influence heureuse sur certains compositeurs alliés, et jusque chez nous. Bien plus, je suis ravi que MM. Bartók, Kodály et leurs disciples soient hongrois, et le manifestent dans leurs œuvres avec tant de saveur. »
La culture klezmer sera également bien présente avec la clarinette de Jean-Luc Votano…
Étymologiquement, « klezmer » signifie « chant d’instruments ». La musique klezmer est en effet une musique instrumentale inspirée de la musique vocale des synagogues. C’est une musique ornementée qui plonge ses racines dans le chant liturgique juif. Le Hongrois Béla Kovács l’a bien illustré dans son Sholem-alekhem, rov Feidman!, une musique de mariage traversée d’émotions intenses, qui parle elle aussi de mobilité, mais cette fois dansée. Dans les Chants d’un compagnon errant de Mahler, il est également question de mariage et de voyage, mais sur fond de désespoir amoureux.
Il y aura aussi d’autres traditions…
Les Tziganes sont venus d’Inde jusqu’en Europe, et leur culture a irrigué les Danses hongroises de Brahms aux accents trépidants, sans compter les traditions recueillies par Béla Bartók dans ses savoureuses Danses populaires roumaines, sur des airs transylvaniens. Au centre de ce panorama, nous avons placé un joyau de Richard Strauss, la mélodie Morgen ! (« Demain ! »), l’une de ses œuvres les plus connues et les plus enregistrées, qui est comme une forme de contemplation, une porte ouverte sur les jours heureux, où le soleil brillera à nouveau et où les hommes s’uniront.
Propos recueillis par Éric Mairlot