Daphnis et Chloé : « C’est une histoire d’amour que j’ai voulu transposer dans l’univers d’adolescents d’aujourd’hui. »

Symphonic cinema

Le cinéaste néerlandais Lucas van Woerkum est l'inventeur du concept de Symphonic Cinema. Il transforme des histoires de musique classique en scénarios de films. Ces films sont alors projetés dans des salles de concert où il adapte la projection en direct depuis la scène. Il nous présente le film qu'il a réalisé sur Daphnis et Chloé de Ravel.


Comment avez-vous adapté l’histoire de Daphnis et Chloé à l’univers contemporain ?

Pour son ballet de 1912, Ravel s’est inspiré d’un roman de l’Antiquité de Longus (vers 200 après J.-C.) dont le thème est la naissance et les progrès de l’amour chez deux adolescents. Trouvés puis élevés par des bergers, Daphnis et Chloé grandissent entourés de jeunes gens de leur âge. Ils tombent amoureux l’un de l’autre mais sont tiraillés par le regard des autres. Des tentations extérieures surgissent pour chacun. Entretemps, Chloé est enlevée par des pirates, puis sauvée par le dieu Pan (celui de la flûte !). À nouveau réuni, le jeune couple se jure fidélité dans la liesse générale.

C’est donc une histoire d’amour universelle, que j’ai voulu transposer dans l’univers d’adolescents d’aujourd’hui. Le propos a été simplifié et plusieurs personnages secondaires ont disparu. Le personnage principal que j’ai choisi est celui de Chloé, qui perd son âme à travers les réseaux sociaux et se construit un masque, sorte d’avatar digital, qui ne lui correspond plus et l’empêche de nouer une relation authentique. Elle se perd dans l’apparence extérieure et le narcissisme. Dans mon film, les pirates sont en réalité les « amies » de Chloé qui la harcèlent et la détournent d’elle-même. Progressivement, Daphnis va donc l’aider à renouer avec son moi profond, dans l’acceptation d’une certaine vulnérabilité, pour redevenir la jeune fille sincère qu’elle était, capable d’aimer.

Que dire de la musique et comment l’adapter en images ?

Daphnis et Chloé a été créé à Paris par la célèbre troupe des Ballets russes. C’est une œuvre majeure de la musique occidentale, qui réunit un orchestre immense et un chœur incroyable, soit près de 200 musiciens sur scène. C’est une œuvre chatoyante, d’un grand pouvoir expressif et d’une extraordinaire souplesse et variété sonore. Bien qu’il s’agisse d’un ballet, je n’ai pas voulu filmer des danseurs en action mais plutôt jouer sur le contraste. À la différence de ce que j’avais imaginé pour L’Oiseau de feu de Stravinsky, qui suivait d’assez près la musique, j’ai recherché ici un niveau d’abstraction qui permette au spectateur d’expérimenter ses propres sentiments. On a bien sûr des scènes de danse synchronisées avec la musique (c’est quand même nécessaire), mais on a surtout des plans poétiques qui amplifient le pouvoir narratif de la musique.

Comment le Symphonic Cinema contribue-t-il à toucher de nouveaux publics ?

Au cours des dix dernières années, j’ai pu constater que les films que j’ai réalisés sur des musiques symphoniques portées par une histoire (L’Île des morts de Rachmaninov, L’Oiseau de feu de Stravinsky, Mahler, l’écho d’une vie, etc.) ont attiré un large public de personnes de 25-45 ans, donc d’une classe d’âge relativement jeune pour la musique classique. Et cette tranche d’âge a encore tendance à baisser. Je pense à deux spectacles récents auxquels j’ai pris part en Finlande, et qui ont attiré un public de 3000 adolescents pour l’autre. Cela montre bien que le principe du Symphonic Cinema facilite l’accès au répertoire pour grand orchestre. Les histoires qui sous-tendent ces musiques sont parfois difficiles à suivre. Les films que je propose aident à mieux les comprendre. Il faut dire que nous vivons dans une société où le visuel est de plus en plus présent par la multiplication des écrans. Ce mode d’approche convient mieux aux jeunes.

Où en est la réalisation de votre film sur Les Planètes de Holst, retardé par la grève des scénaristes de Hollywood ? Avez-vous d’autres projets ?

Un accord a heureusement été trouvé en novembre 2023 pour revaloriser les droits des scénaristes, ce qui nous a permis de reprendre contact avec les acteurs Emma Thompson et Greg Wise, et de planifier un tournage à l’été 2024. Le film devrait être achevé en décembre 2024 et présenté lors de la saison 2025-2026 par plusieurs orchestres à Pékin, Sydney, Londres et Liège. Par la suite, j’aimerais travailler sur une autre histoire (d’amour), celle de Berlioz et de sa muse dans la Symphonie fantastique.


Propos recueillis par Éric Mairlot

 

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