[FOCUS] King Arthur, une intrigue digne de House of Cards

Vox Luminis

Le samedi 28 septembre, à 20 heures, pour ses vingt ans de carrière, l’ensemble de musique ancienne Vox Luminis, dirigé par Lionel Meunier, a choisi la Salle Philharmonique. Dans une version de concert, il redonne vie au King Arthur du compositeur britannique Henry Purcell (1659-1695), un drame politique digne de la série House of Cards, véritable joyau de la musique anglaise où s'enchaînent danses tourbillonnantes, airs et chœurs d'une exubérante inventivité dont le célèbre "air du froid", immortalisé par Klaus Nomi. 

 

Un mask pour le roi Charles II

Avec cette œuvre, Purcell signe une des musiques les plus imaginatives et contrastées qui soient, tout en répondant aux attentes et aux conventions du public de son temps. À la fin du XVIIe siècle, les spectacles qui englobent poésie, théâtre, musique, danse et effets visuels spectaculaires font fureur à Londres. Le genre musical du mask (également appelé « semi-opéra »), une forme d’hybride entre le théâtre et l’opéra, est le plus en vogue et englobe toutes ces disciplines. Il est constitué principalement de dialogues parlés entre lesquels s’insèrent des parties chantées ou instrumentales. On y relève clairement une primauté du théâtre sur la musique, justifiée par l’attachement viscéral des Anglais à l’œuvre de Shakespeare (1564-1616), mais aussi par une certaine résistance à l’encontre de l’opéra (chanté, lui, d’un bout à l’autre). 

Après une carrière à la cour, Purcell se lance à son tour dans le genre à succès du mask ; il compose au total la musique de six semi-opéras. King Arthur (1691) est le deuxième mask de Purcell, basé sur une pièce récente en cinq actes du plus grand dramaturge de l’époque, John Dryden (1631-1700). Ce dernier est alors le « héros » de la littérature anglaise, directement associé au règne du roi Charles II et à une période importante de l’histoire anglaise, la « Restauration » (1660), qui marque le rétablissement de la monarchie après quelques années de dictature sous le joug du sanglant Cromwell. Créée en 1684, sans musique, la pièce de Dryden a été écrite pour le 25e anniversaire du couronnement de Charles II. Elle fut reprise en 1691 avec, cette fois des passages mis en musique par Purcell auquel on doit également les irrésistibles interludes instrumentaux qui traversent le mask. Au moment où ce nouveau King Arthur est proposé au public, l’Angleterre est passée aux mains de Guillaume d’Orange et de Marie II Stuart, ce qui contraint Dryden à modifier partiellement son texte pour y faire référence aux nouveaux monarques.

Une intrigue politique à la gloire de la Grande-Bretagne

Peut-on en conséquence considérer King Arthur comme un opéra politique ? Incontestablement, dans la mesure où le propos valorise l’idée d’une Grande-Bretagne unie. L’ouvrage raconte l’affrontement, en des temps anciens, entre les Saxons du roi Oswald et les Bretons du roi Arthur : Oswald souhaite conquérir les terres de son rival et lui dérober sa bien-aimée Emmeline. Pourtant, Arthur sort vainqueur des combats. Au lieu de poignarder son ennemi, il l’épargne, geste qui signe l’union des Saxons et des Bretons et prépare l’unification de la future Grande-Bretagne. Les contemporains du mask y ont surtout vu la récente réconciliation des Anglais après le régime autoritaire et puritain de Cromwell.

Un sommet de la musique baroque anglaise

King Arthur se conforme aux conventions artistiques des années 1690. La musique apparaît dans les scènes oniriques, les moments d’introspection, les scènes magiques ou les interventions surnaturelles, en présence d’êtres allégoriques, mythologiques ou légendaires, d’une part, d’adorateurs, de serviteurs et autres bergers, de l’autre. Menée par des protagonistes comme Arthur, Emmeline, Merlin ou Oswald, l’action principale est réservée aux passages parlés. Deux personnages importants de la pièce, Philidel et Grimbald, parlent et chantent à la fois, leurs interventions théâtrales prennent toutefois le dessus sur les parties chantées.

Les chœurs et les airs de King Arthur, parmi les plus beaux conçus à l’époque, constituent l’un des sommets de la musique baroque anglaise. La qualité du chant, souple, sensuel, frénétique, découle de la parfaite connaissance des techniques vocales d’alors, que Purcell maîtrise en parfait chanteur professionnel. Des danses et passages instrumentaux courts (souvent entre une et deux minutes), parsèment les cinq actes de l’œuvre. Ils témoignent de l’influence des tragédies lyriques de Lully où la danse joue un rôle d’interlude au sein de l’opéra, tout comme ils rappellent que le roi Charles II demeura durant son exil dans la France de son jeune cousin, le futur Louis XIV, et y découvrit l’art des ballets de cour dont s’inspirera toute l’Angleterre musicale lors de son accession au trône !

Vox Luminis en version king size

La partition de Purcell ne fut pas éditée au moment de sa création. Elle ne subsista que sous la forme d’une soixantaine de documents dispersés, tous lacunaires, et le plus souvent contradictoires. La musicologue britannique Margaret Laurie tenta avec courage de réunir et de confronter tous ces « reliquats » à la fin des années 1960, non sans terminer son édition par une trentaine de pages de notes et de propositions alternatives. Toute représentation de King Arthur aujourd’hui résulte encore d’une série de choix, de permutations, de coupes nécessaires selon la logique dramatique recherchée. Sans rentrer dans les détails, la version proposée à la Salle Philharmonique par l’ensemble Vox Luminis (dans un effectif king size), en collaboration avec le Festival Les Nuits de Septembre, met en valeur l’intégrale des parties musicales de Purcell ; l’intrigue théâtrale est quant à elle resserrée et confiée à un seul narrateur, le comédien Laurent Bonnet. 

Stéphane Dado

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