[INTERVIEW] Elisabeth Leonskaja : « L’important c’est de ressentir la beauté. »

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Sa dernière venue à la Salle Philharmonique de Liège remonte à 1996. L’immense pianiste russe Elisabeth Leonskaja est en récital « Piano 5 étoiles » le 24 novembre avec un programme qui oscille entre Mozart et Alban Berg et se clôture avec l’ultime Sonate de Schubert.
 

La pièce maîtresse de votre récital à Liège est la dernière Sonate de Schubert, compositeur qui vous accompagne depuis longtemps. Y a-t-il eu une évolution dans votre rapport à cette œuvre ?

Bien sûr ! Au fil des ans, on change et on ressent quelque chose de différent, quelque chose de plus quant au sens de la vie. J’ai joué et enregistré toutes les Sonates de Schubert ainsi que toutes les œuvres importantes de Mozart. En vivant à Vienne, on perçoit dans l’esprit de la ville beaucoup de sensations et d’émotions qui permettent de mieux approcher l’esprit de Mozart ou de Schubert. Pour moi, Mozart est « inatteignable » : je travaille sans cesse à approfondir chaque détail, à tenter de m’approcher au plus près de lui. Quant à Schubert, le reflet de cet esprit viennois se perçoit dans cette dernière Sonate. Je travaille chaque jour à approcher cela.

Pourquoi avoir choisi d'encadrer la Sonate de Berg par deux œuvres de Mozart ?

Mon récital met en regard la « Première école de Vienne » (Haydn, Mozart, Beethoven, voire Schubert) et la « Seconde école de Vienne » (Schoenberg, Berg, Webern, auxquels je consacre mon prochain enregistrement), deux univers qui sont très contrastés. La Sonate op. 1 d’Alban Berg est sa première œuvre pour piano ; c’est formidable de constater à quel point il est allé loin harmoniquement et émotionnellement. Beaucoup de jeunes pianistes l’abordent ; je l’ai jouée lorsque j’étudiais à Moscou avec une approche très émotionnelle. Cela sonne un peu, pour les jeunes aujourd’hui, comme du Scriabine. Aujourd’hui, je l’aborde absolument différemment parce que c’est une écriture très polyphonique et ainsi, l’œuvre a bien plus de poids. Il est impossible de dire quelles sonates sont les plus importantes chez Mozart, mais on peut tout de même dire de la Sonate K. 576 (écrite tardivement) que c’est un joyau de musique polyphonique. 

Pour moi, Mozart est « inatteignable » : je travaille sans cesse à approfondir chaque détail, à tenter de m’approcher au plus près de lui

L’école russe de piano a marqué l’histoire de l’instrument au fil des décennies. Avez-vous le sentiment de perpétuer une sorte de « lignée » ?

Chaque pays a sa tradition, sa propre école, et je pense que cela a un lien étroit avec son répertoire. L’école russe aborde le répertoire de Liszt et de là, on peut jouer toutes les œuvres de l’école russe et aborder des compositeurs comme Tchaïkovski, Rachmaninov, tous les grands noms russes de la seconde moitié du XIXe siècle. Ce répertoire est très profondément lié à la virtuosité. En Allemagne et en Autriche, le cœur du répertoire est construit sur Bach, Haydn et Mozart : c’est très différent. En France, c’est encore autrement avec Debussy et Ravel comme figures centrales.

Comment décririez-vous votre rapport avec le public ?

Le public, ce sont des centaines de personnes toutes différentes... Je ne sais pas ce qu’elles entendent quand je joue et cela n’aurait pas de sens pour moi de parler de ce qu’elles « doivent » entendre… La musique sonne et chacun prend ce qu’il est capable de prendre, d’entendre. L’un sera davantage touché par tel mouvement, ressentira telle ou telle émotion. L’important, ce n’est pas d’expliquer des choses : l’important, c’est de ressentir la beauté. Elle a tellement de visages différents. Je me sens très heureuse et chanceuse car mon travail, c’est d’atteindre la beauté perpétuellement.

 

Propos recueillis par Séverine Meers


Elisabeth Leonskaja sera en récital à la Salle Philharmonique de Liège le dimanche 24/11 à 16h
 

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