Cu 29 : la légèreté volubile de Philippe Ranallo
Philippe Ranallo, que cache le titre de ce concert que vous nous avez concocté : « Cu29, l’opulente légèreté des cuivres » ?
« Cu » est le symbole chimique du cuivre, qui occupe la 29e place dans le fameux « tableau de Mendeleïev », le tableau périodique des éléments. Et ce concert rassemble huit « cuivres » membres de l’OPRL : les quatre trompettistes (François Ruelle, Juan Antonio Martínez, Sébastien Lemaire et moi-même), deux cornistes (Bruce Richards et David Lefèvre) et deux trombonistes (Alain Pire et Gérald Evrard). Notre équipe de cuivres est complétée par la présence de Johan Dupont, jeune pianiste talentueux bien connu du milieu musical liégeois, tant jazz que classique ! C’est un musicien exceptionnel, capable de tout jouer ; et c’est aussi une personne d’une grande générosité… et d’une grande humilité.
L’objectif des « Happy Hour ! » est de sortir des sentiers battus et de proposer des choses inattendues et originales. J’ai donc décidé de rompre avec le concept habituel du concert en grand ensemble de cuivres, comme l’excellent Ensemble de Cuivres de Belgique par exemple (dont plusieurs musiciens de l’OPRL sont d’ailleurs membres) à l’image sonore large et puissante.
Avec « L’opulente légèreté des cuivres », c’est tout l’inverse : ce concert propose des œuvres dont l’effectif ne dépasse pas quatre musiciens. Une seule exception : l’œuvre finale, la Gnossienne n° 1 de Satie, une œuvre pour piano seul que j’adore et qui rassemblera les 8 cuivres dans un arrangement que j’ai réalisé. C’est donc un voyage à travers une musique de chambre raffinée, toute en douceur, avec trois lignes de force : une musique originale, de qualité, et qui s’écoute aisément.
Autre élément dans l’organisation de ce programme : la confrontation de trois compositeurs européens de la première moitié du XXe siècle (Poulenc, Britten et Satie) et de quatre compositeurs anglo-saxons d’aujourd’hui, dans des œuvres qui ont toutes été composées au XXIe siècle : Ewazen, Bissill, Turrin et Pugh. Satie étant sans doute celui qui a écrit la musique la plus géniale avec le moins de matière : un oxymore que reflète le titre du concert…
Ce choix original d’œuvres est-il un reflet de votre parcours personnel ?
Oui, tout à fait. En parallèle à mon métier à l’OPRL, je suis aussi membre de l’Ensemble Ictus depuis vingt ans, ce qui me donne l’occasion de découvrir beaucoup de musique contemporaine, de Wozzeck de Berg en version de chambre à des créations d’avant-garde… étant jeune j’ai été aussi actif dans des big bands, j’ai commencé, depuis peu, à jouer de la trompette baroque, j’aime le jazz (même si je regrette de n’avoir jamais pratiqué l’improvisation en jazz…). Il y a des tas de musiques d’aujourd’hui passionnantes à découvrir, et j’ai vraiment cherché à élaborer pour le public une soirée de découvertes entre amis sous le signe du pur plaisir.
Que pouvez-vous nous dire des pièces de Poulenc et Britten ?
La Sonate pour cor, trompette et trombone de Poulenc, que l’on appelle communément « Trio pour cuivres », est un incontournable du répertoire de chambre pour les cuivres. C’est une œuvre typiquement française, légère et fraîche, qui fut créée en 1923 lors d’un concert Satie-Poulenc, en pleines Années folles.
La Fanfare for St Edmundsbury de Britten, composée en 1959 pour une célébration historico-liturgique à la cathédrale St Edmunsdbury, en Angleterre, est écrite pour trois trompettes modernes (mais il serait possible de la jouer sur des trompettes naturelles). Même s’il s’agit d’une fanfare d’ouverture, elle reste dans un esprit assez « pacifique » lié au contexte liturgique ; chacun des musiciens y expose tour à tour un thème différent, puis les trois voix se superposent. Une pièce courte, magnifiquement écrite pour les trompettes.
Passons aux compositeurs anglo-saxons d’aujourd’hui.
Richard Bissill est un corniste anglais, compositeur et arrangeur. Quand j’ai demandé à Bruce Richards de me proposer des pièces originales pour cor pour ce concert, j’ai moi-même été stupéfait de l’immense répertoire qui existe ! Nous sommes restés sur notre volonté de choisir une musique à la fois très abordable et de qualité ; nous avons choisi Time & Space, écrite pour deux cors et piano. C’est une pièce à l’atmosphère éthérée, magnifique, mais exigeante pour les interprètes !
Ensuite viennent trois compositeurs américains. Eric Ewazen, tout d’abord ; il est né en 1954 et a beaucoup composé pour les cuivres, et pour les ensembles de vents en général. Au départ, Ewazen a écrit son Elizabethan Songbook pour mezzo, ténor et piano, sur des textes assez bucoliques et tendres ; c’était une commande pour un mariage. Il en a ensuite réalisé un arrangement pour trompette, trombone et piano, dont nous présenterons deux extraits.
Joseph Turrin est à la fois pianiste, chef d’orchestre, compositeur, arrangeur et enseignant ; il a composé énormément et entretient des relations étroites avec des ensembles prestigieux, notamment le New York Philharmonic. Son Fandango pour trompette, trombone et ensemble de vents existe aussi dans une version avec piano ; c’est celle que nous proposerons ici.
Enfin, Jim Pugh, tromboniste américain, jazzman et compositeur que nous sommes très contents de vous faire découvrir car il n’est pas très connu en Europe… ni édité ! Ses Aviariations (les titres des trois mouvements sont des jeux de mots incluant à chaque fois un nom d’oiseau) sont écrites pour deux trompettes, cor et trombone. Ce n’est pas du jazz mais une fois encore, c’est une musique qui mérite vraiment la découverte !
Propos recueillis par Séverine Meers